cinéma

Cause toujours ! de Jeanne Labrune

 

 

    Jeanne Labrune clôt en 2004 une trilogie de films qui ont en commun la première lettre de leur titre : C pour Ca ira mieux demain et C’est le bouquet ; mais aussi de fustiger sous un ton plaisant et volontiers acide les petites vicissitudes et autres travers des gens privilégiés en manque de sensations.

 

    Film d’été par excellence, tant il fleure bon la campagne et est nimbé d’une lumière magnifique qui donne envie illico de partir se mettre au vert, Cours toujours ! commence pourtant dans un appartement parisien très tendance – on croirait une publicité pour le dernier catalogue Habitat – où Jacinthe (Victoria Abril fidèle à elle-même) est en chasse contre une invasion de mites au grand dam de son très citadin mari, Bruno (Jean-Pierre Darroussin). Un démarrage un peu poussif et fabriqué au jeu limite théâtral qui est soudain revigoré par l’apparition de Léa (Sylvie Testud, toujours juste) venue convier ses amis à un week-end à la campagne. Lequel suscite peu d’intérêts chez le couple et qui sera nettement remis en question lorsque Léa va croiser le chemin d’un magasinier apparemment muet et ex-légionnaire dont elle tombe instantanément sous le charme et qu’elle finit par suivre au fin fond d’un village perdu, inquiétant ses amis parisiens. Ce qui sera prétexte à nombre de malentendus et de quiproquos en cascade.

 

    Le film est qualifié de fantaisie, ce qui n’est pas du tout usurpé car nous sommes bien ici dans le domaine de la légèreté et du futile, ce qui contribue à rendre parfois Cause toujours ! agaçant notamment lorsqu’il se complaît à souhait dans les comportements caricaturaux des bobos. Il est aussi très bavard, frisant aussi avec quelques poncifs intellos qui apportent peu à l’histoire et lui donne même un côté de sous-Rivette, même si paradoxalement il se fait le défenseur du silence en opposition à l’excès de paroles creuses et inutiles.

Mais le plaisir pris et l’indulgence estivale du spectateur peu rassasié finissent par faire pencher la balance du bon côté. D’abord parce qu’il n’y a pas ici de prétention affichée, si ce n’est celle de divertir et de faire sourire. Ensuite, il faut reconnaître au film quelques moments de grâce et de pur bonheur concentrés sur les scènes de campagne entre Léa et son muet mystérieux ; et plus généralement par un jeu d’acteurs manifestement ravis et enchantés de leur rôle. Enfin, et c’est là le point le plus important, parce que Jeanne Labrune mine de rien sait saisir et stigmatiser quelques dysfonctionnements de notre époque actuelle et notre propension galopante à la méfiance généralisée qu’elle attise elle-même en nous faisant gamberger quelque temps sur le sort de Léa. La scène de l’intervention de la société chargé d’assainir l’appartement de Jacinthe et Bruno sous ses dehors de comédie révèle au passage quelques vérités bien vues.

 

    Tout cela est traité par petites touches, sans discours appuyé, avec distance et ironie et c’en est d’autant plus percutant. C’est bien dans cette observation au scalpel où la vacherie le dispute à la tendresse que Cause toujours ! touche à son but. Et nous rend quelque peu plus indulgents sur des lourdeurs occasionnelles et des clichés fréquents et ne doit donc pas nous faire rater un plaisir pas si habituel de se détendre avec finesse au cinéma, surtout en plein été.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 27 – Sortie le 28 juillet 2004