cinéma

Changement d’adresse de Emmanuel Mouret

[5.0]

 

 

Fraîchement débarqué à Paris, David – campé par le réalisateur lui-même – en recherche d’appartement se retrouve par le plus farfelu des hasards en colocation avec Anne, jeune femme naïve et fantasque qui s’occupe d’une petite échoppe de photocopies. Anne et David deviennent amis et confidents, chacun cherchant auprès de l’autre conseils et soutien dans son propre parcours sentimental. Pour David, professeur de cor, c’est Julia, sa jeune élève bourgeoise, coincée, triste et quasi mutique, qui est la cible de sa séduction et de son amour. En ce qui concerne Anne, c’est pour un mystérieux client Gabriel, voyageur au long cours, que nous ne verrons jamais au demeurant, que son cœur bat. Les deux locataires dissèquent à n’en plus finir leurs états d’âme, leurs joies et leurs peines dans une proximité que seul le spectateur trouvera trouble et équivoque. Quand Anne et David couchent ensemble, c’est juste pour imaginer la même situation avec l’élu(e) de leur cœur et en y pensant très fort…

Lorsque David réussit à emmener en week-end à Trouville Julia, on se dit que leur relation s’engage bien. Hélas, la rencontre avec Julien, séducteur mythomane de pacotille, brise net les espérances de David. Il faudra encore du temps pour faire aboutir cette relation, et encore rien ne sera t-il certain…

 

Pour son troisième long métrage, Emmanuel Mouret fait de l’idée de changement sa ligne directrice. D’abord, il a quitté son Marseille natal pour Paris. Ensuite, il situe son film dans quatre lieux successifs : le duplex spacieux où David emménage avec Anne, le studio sur la côte normande, l’appartement qu’il finit par partager avec Julia, la minuscule chambre de bonne dans laquelle il échoue. Ces déménagements consécutifs ne sont en fait que l’illustration des intermittences amoureuses que connaissent les personnages. Comme Mouret le déclare lui-même, « le cœur est un organe qui nous rend aussi impétueux que vulnérable, tout aussi dur que doux, tout aussi définitif que changeant ». En dépit des revers de fortune et de succès, le très volubile Changement d’adresse est tout sauf rébarbatif et ennuyeux. Au contraire, on y rit beaucoup tant son réalisateur réussit à redonner toutes ses lettres de noblesse au discours amoureux. Plus précisément à l’analyse fouillée des soubresauts amoureux à laquelle se livrent non pas les couples concernés, mais les amis, avec une honnêteté et une maladresse touchantes. Dans Changement d’adresse, on est continuellement surpris de voir apparaître de la singularité et de la drôlerie dans les situations les plus communes, les attitudes les plus courantes, mettant en relief au passage la difficulté d’adaptation au monde. A leur manière, Anne et David sont deux personnages burlesques, qui se cassent la figure et se relèvent sans cesse sans jamais se départir de leur espoir ni sombrer dans l’aigreur.

 

En cela, cette comédie sans prétentions mais toujours pétillante et jubilatoire promeut la lutte contre l’usure et l’amertume. Ce qui lui donne un ton frais et primesautier qui pourrait bien en faire la comédie estivale par excellence, bien loin des balourdises habituelles. Servi par une interprétation impeccable – les bégaiements et la logorrhée de Mouret, le naturel désarmant de Frédérique Bel – et des dialogues aux petits oignons, Changement d’adresse travaille avec finesse et raffinement le contraste entre apparente légèreté et véritable mélancolie. La succession de Rohmer est d’ores et déjà assurée…

 

Patrick Braganti

 

Comédie sentimentale française – 1 h 25 – Sortie le 21 Juin 2006

Avec Emmanuel Mouret, Frédérique Bel, Fanny Valette, Dany Brillant

 

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www.changementdadresse-lefilm.com