cinéma

Comment j’ai fêté la fin du monde de Catalin Mitulescu

[4.0]

 

 

L’association sous forme d’oxymore entre la fête – moment de joie et de bonheur – et la fin du monde que l’on envisage rarement de gaieté de cœur a tout pour retenir l’attention et séduire. Quand on sait de surcroît que Comment j’ai fêté la fin du monde nous vient en droite ligne de Roumanie, pays qui mêle le fatalisme résigné des pays de l’Est à la truculence latine dans l’usage d’un humour toujours féroce et noir, on est encore plus excités par le projet. Et heureusement, la déception n’est pas au rendez-vous.

 

En 1989, la Roumanie vit les derniers instants du régime dictatorial de Ceausescu dans un dénuement extrême et une répression ininterrompue contre les opposants à la politique centralisée qui plonge le pays dans les affres et les difficultés économiques. Comme tant d’autres, la famille de Eva, dix-sept ans, fait contre mauvaise fortune bon cœur en tentant de survivre. Eva, très joli brin de fille aux lèvres pulpeuses et au regard sombre trop rarement rieur, partage son temps entre l’école et son petit frère Lalalilu, garçonnet de sept ans aussi espiègle que son prénom peut le laisser supposer. Courtisée par Andréi, le fils du flic tout-puissant dont il faut ménager les susceptibilités et solliciter la bienveillance, Eva est plus attirée par un grand échalas dégingandé qui nourrit le secret espoir de s’enfuir du pays en traversant les eaux sombres et glacées du Danube, en emmenant avec lui la jolie jeune fille. Mais Lalalilu n’a pas très envie que sa sœur, qui fait aussi office de mère tant la vraie est effacée et soumise, s’en aille et fomente avec ses deux copains le projet de tuer Ceausescu lors de sa prochaine visite afin de libérer la Roumanie du joug de son dictateur et du même coup rendre inutile l’escapade des deux adolescents.

 

Comment j’ai fêté la fin du monde se présente comme une lecture personnelle de l’histoire récente roumaine par laquelle Catalin Milescu, ancien étudiant en géologie à Bucarest, revisite ses propres souvenirs et témoigne de sa nostalgie paradoxale d’une époque pourtant difficile. Malgré le soin apporté à reconstituer une période à la fois proche dans le temps et lointaine dans son environnement et ses modes, le film n’a pas valeur de documentaire.

On est assez effarés de constater la terreur que les autorités faisaient régner, la délation omniprésente et la peur de ses voisins comme corollaire direct. A l’école, les élèves apprennent l’hymne national, doivent travailler et rendre hommage à leur dirigeant despote. A la maison, il faut inviter le flic pour obtenir ses bonnes grâces et ne pas faire cas du grand-père râleur.

Même si on éprouve parfois des difficultés à suivre l’itinéraire de tous les personnages et les liens amicaux ou familiaux qui les unissent, on est en revanche conquis par l’esprit de liberté et de douce folie qui règne sur le film. Dorotheea Petre a justement reçu le prix de la meilleure actrice dans la dernière sélection cannoise d’Un Certain Regard et il aurait été tout aussi normal de récompenser Timotei Duma, qui campe un gamin attachant, roublard et plein de ressources.

 

Il y a donc vraiment du plaisir simple et sans prétentions à aller voir Comment j’ai fêté la fin du monde, petite tragi-comédie nostalgique et sensible, habitée par l’âme roumaine qui, en dépit de tous ses maux, n’a jamais oublié son optimisme et son humour salvateur.

 

Patrick Braganti

 

Drame roumain – 1 h 46 – Sortie le 30 Août 2006

Avec Dorotheea Petre, Timotei Duma, Marius Stan