cinéma

C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallee

[4.0]

 

 

Ce n’est pas forcément un bon plan de naître un jour de fête : votre potentiel de cadeau et de célébration est divisé par deux. Quand en plus la naissance coïncide avec le 25 Décembre, qui est aussi celle du Christ, cela lui confère immanquablement un petit aspect sacré, voire surnaturel, attribuant au nouveau-né des capacités hors normes, pour peu que ses parents soient peu ou prou des catholiques pratiquants.

C’est exactement le contexte dans lequel vient au monde en ce jour de Noël 1960 au Québec Zachary Beaulieu, quatrième fils de Gervais et Laurianne. Une entrée fracassante dans le monde des vivants pour Zachary, autour d’une mère aimante et un tantinet dévote, d’un père bourru et fier de sa progéniture et de trois frères aînés, Christian l’intello, Raymond le rebelle et Antoine le sportif dont il devient vite le souffre-douleur, tant sa singularité et ses dons présupposés dérangent tout le monde, notamment son père.

En grandissant, Zachary peine à construire son identité et souffre du fossé qui s’est creusé entre son père et lui. Mais Zachary n’est pas le seul souci des Beaulieu, car de son côté Raymond multiplie les bêtises, se fait virer de chez ses parents parce que Gervais n’admet pas son trafic de drogue et finit par se retrouver en prison.

Zachary grandit en plein milieu des années 70 et s’essaie à tous les looks : glam rock comme son idole androgyne David Bowie, punk et même baba. Il continue à se chercher, prend une copine pour faire comme tout le monde et se demande s’il n’est pas pédé, d’autant plus que ses frères n’arrêtent pas de le traiter comme tel. Le chemin sera long et cabossé pour que Zachary accepte sa nature profonde sans crainte de perdre l’attention et l’amour de ses parents.

 

C.R.A.Z.Y. est un film vaste et dense : d’une part, chronique familiale débridée et pleine de rebondissements, de l’autre le parcours erratique de Zachary. Comme dans toutes les familles, les Beaulieu alternent des moments de liesse et des instants de pure tragédie. Ce qui plonge Gervais – personnage le plus attachant et le plus réussi du film derrière Zachary – dans la perplexité et le doute. Cet incorrigible macho à la tête d’une tribu de garçons est en fait un cœur tendre, dont la délicatesse et la féminité enfouies sont perceptibles dans son amour persévérant pour Aznavour et surtout pour Patsy Cline, chanteuse country et sentimentale dont le titre phare est Crazy…

On plonge avec délices – et même avec nostalgie pour les quadragénaires et plus – dans les années 1970 reconstituées avant tout par le biais des sensations et de la bande-son. Pour les sensations, ce sont celles procurées par la texture d’un tissu synthétique, le crachotement d’un vieux microsillon. Quant à la bande-son, elle nous permet de réentendre les standards de Bowie et de Pink Floyd.

 

Néanmoins, C.R.A.Z.Y. achoppe sur deux points : la caractérisation frôlant la caricature de certains personnages – Raymond en tête – et le processus dilatoire de la narration peinant à entrer dans le vif du sujet. Jean-Marc Vallee ne montrera jamais Zachary en phase avec sa nature ; même l’escapade à Jérusalem à la symbolique lourdement appuyée constitue une simple amorce.

Il n’en reste pas moins que C.R.A.Z.Y. est une comédie alerte, dynamisée par la gouaille et la truculence de nos amis québécois dont l’expression idiomatique tant imagée nécessite la présence de sous-titres.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique canadienne – 2 h 09 – Sortie le 3 Mai 2006

Avec Michel Cote, Marc-André Grondin, Danielle Proulx