cinéma

Dans Paris de Christophe Honoré

[5.0]

 

 

La meilleure nouvelle apportée par Dans Paris, c’est sans doute la sérénité atteinte par Christophe Honoré. Il faut bien avouer que cette (jolie) tête à claques, qui exerce ses talents certains aussi bien en écriture comme critique ou auteur qu’au cinéma comme scénariste ou réalisateur, est loin de laisser indifférent, ayant plus souvent qu’à son tour suscité la haine ou la rage par ses prises de positions tranchantes, où se bousculent une mauvaise foi ironique, une cruauté perverse qui constitue sa marque de fabrique et une honnêteté indéniable. Ce breton d’origine modeste, ce qui explique notamment son désir teigneux de revanche, très tôt révélé au cinéma par sa grand-mère, a décidément tout pour (dé)plaire. Si jusqu’à présent les opinions ont été partagées, mais jamais tièdes – car le garçon n’inspire pas la demi-teinte -, sur ses précédents opus (Dix-sept fois Cécile Cassard, portrait fragmenté et original d’une femme en deuil, suivi de l’adaptation du sulfureux roman de Bataille : Ma mère), Christophe Honoré devrait pour son troisième film recevoir un accueil critique et public plus unanime.

 

Certes, il n’abandonne en rien ses thèmes de prédilection, à savoir la famille et plus précisément la relation fraternelle, mais il y insuffle de la tonicité et de la mélancolie, qui rendent Dans Paris charmant et émouvant. Le film s’articule autour de Paul (Romain Duris enfin débarrassé de ses rôles stéréotypés de branleur globe-trotter), en pleine dépression suite à un chagrin d’amour, de retour à la maison : chez son père (Guy Marchand excellent dans une composition de papa poule gâteau, dépassé par les événements). Dans l’appartement en pleine seizième, avec vue sur la Tour Eiffel, mais qui fait plutôt appartement de banlieue, le jeune frère Jonathan (Louis Garrel à l’opposé de ses rôles habituels de beau ténébreux tourmenté révèle une puissance comique insoupçonnée) est relégué au salon et sollicité par son père impuissant pour aider Paul.

 

Après un préambule où Jonathan se présente à nous, face caméra, comme le narrateur volubile et désinvolte de l’histoire et avant d’être Dans Paris, l’action se situe d’abord à la campagne. Le premier petit tiers du film met en scène la détérioration du couple formé par Paul et Anna, qui aboutit à la dépression de celui-ci et à son retour dans la capitale. Christophe Honoré reconnaît lui-même que son cinéma est « composé de plusieurs blocs », rompant avec l’homogénéité et installant a contrario frictions et impression d’inachevé. Plus qu’une explication à l’état léthargique et renfermé de Paul, le « bloc campagnard » met en place un dispositif – l’éclatement douloureux d’un couple – en totale opposition avec la suite. De toute manière, l’idée d’opposition circule à travers tout le film : celle des deux frères, le dépressif et l’extraverti ; celle formelle de l’intérieur et de l’extérieur et celle moins perceptible de la relation au temps : Paul est prisonnier d’un passé qui l’entrave et dont on verra qu’il ne se réduit pas à sa seule histoire d’amour récente et Jonathan se place dans une perpétuelle fuite en avant, qui le conduit à la multiplication des rencontres amoureuses, comme autant de fictions possibles et d’histoires à (se) raconter.

 

Dans ses intentions, Christophe Honoré avoue avoir voulu « faire un film français », mais aussi « filmer Paris comme un musée de cinéma ». A force de médire, parfois avec justesse, souvent avec exagération provocatrice, le réalisateur de Ma mère a fini par se rendre compte, et sans doute accepter, combien il aimait le cinéma français et ses plus brillants représentants comme Eustache, Demy ou Truffaut. Des noms qui sont logiquement convoqués comme référence ou inspiration : Eustache pour la première partie, Demy pour la conversation téléphonique chantée entre Paul et Anna, et Truffaut pour la fantaisie légère et énergique du trublion Jonathan en héritier direct de Jean-Pierre Léaud.

Malgré tous les sujets graves abordés : crise du couple, séparation, deuil et cafard ambiant, Dans Paris refuse le parti de la tristesse, pourtant bien tentant à l’image des eaux noires de la Seine. Bien sûr Christophe Honoré est toujours attentif à l’habillage musical et aux corps masculins : Duris et Garrel ont déjà été comédiens chez lui. Et ce n’est pas pour rien que Jonathan est filmé un instant arrêté devant l’affiche de Last Days.

Nullement encombré de ses références qu’il revisite et dynamite avec une classe incroyable, Dans Paris marque avec force l’arrivée à maturité d’un cinéaste talentueux et exaspérant, sincère et agaçant.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 32 – Sortie le 4 Octobre 2006

Avec Romain Duris, Louis Garrel, Guy Marchand, Marie-France Pisier, Joana Preiss

 

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www.dansparis-lefilm.com