cinéma

Daratt de Mahamat Saleh Haroun

[4.0]

 

 

Après une guerre civile et l’amnistie générale accordée aux bourreaux, les proches des victimes se retrouvent désappointés et en proie à un dilemme impossible : se résigner, donc pardonner, ou se faire justice soi-même, donc devenir à son tour bourreau tortionnaire ? Question essentielle qui pose du même coup celle du vivre ensemble après une période de violence et de haine qui prend ici racine au Tchad et à N’Djamena, sa capitale, ravagés par la guérilla depuis 1965, ayant provoqué la mort ou la disparition de 40 000 personnes. Mahamat Saleh Haroun choisit volontairement le Tchad car c’est son pays d’origine, mais le sujet dépasse largement des frontières identifiées pour toucher à l’universel et malaxer des notions comme le pardon, la fascination et la répulsion si souvent couplées, la nécessité de grandir et de s’affranchir de toute tutelle pour atteindre l’autonomie en se débarrassant des scories d’un passé inoubliable.

 

C’est la trajectoire de Atim, jeune orphelin de seize ans chargé par son grand-père pour aller assassiner Nassara, le meurtrier de son père, qui sert donc à Mahamat Saleh Haroun de cadre à cette réflexion noble et tranquille. Car, plus que les événements en eux-mêmes, ce sont leurs conséquences sur la vie de ceux qu’elles concernent directement qui passionnent le cinéaste tchadien. Daratt tient ainsi du conte et de la fable. Quittant son village, Atim part pour la grande ville où il est déjà hébergé chez un voleur à la petite semaine avant de retrouver Nassara et de pénétrer son univers. Nassara boulanger de son état fait du jeune homme son apprenti et des liens inattendus se tissent entre les deux hommes, compliquant la tâche d’Atim, envahi par une kyrielle de sentiments contradictoires qui l’éloignent toujours plus de son objectif initial. Daratt refuse tout manichéisme et l’histoire que l’on pourrait penser balisée et résolue par avance se meut en intrigue haletante à la tension croissante. L’ancien bourreau distribue aujourd’hui son pain aux enfants nécessiteux et semble rongé par ses actes anciens qui ont suscité la haine de ses voisins. Atim, qui n’a jamais connu son père, trouve en Nassara un substitut paternel, remplissant le rôle fondateur d’éducateur, de conseiller, voire de protecteur.

 

C’est un film sec et épuré, baigné dans une lumière blanche et crayeuse, presque aveuglante qui s’oppose violemment à la couleur de la peau, particulièrement dans les scènes au pétrin où l’épiderme en sueur devient luisant. Soigné dans sa mise en scène au cordeau qui privilégie l’affrontement quasi muet des deux protagonistes – Atim ne parle presque pas et Nassara victime d’une tentative d’égorgement doit plaquer un appareil sur sa gorge pour s’exprimer - , Daratt interprété par des acteurs non professionnels s’est vu justement récompensé du Prix spécial du jury à la dernière Mostra.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 35 – Sortie le 27 Décembre 2006

Avec Ali Bacha Barkai, Youssouf Djoro, Aziza Hisseine