cinéma

De battre mon coeur s’est arrêté de Jacques Audiard 

 

 

    Tom, vingt-huit ans, est un jeune homme aux fréquentations, au métier et à la famille réduite à son père peu recommandables. Il est en affaires véreuses dans l’immobilier comme marchand de biens avec deux potes associés, suivant en cela le chemin tracé par son paternel. Un soir, Tom tombe par hasard sur celui qui fut l’agent de sa mère une dizaine d’années plus tôt lorsque celle-ci était une pianiste concertiste de renom. Lorsque celle-ci était encore en vie. Depuis cette mère – dont on sent parfois la cruauté de l’absence – a disparu, laissant Tom en suspension, balancé au gré des événements, sans choix librement consenti. Il fut lui-même un élève doué et le vieil agent l’encourage à reprendre l’étude du piano avant de venir auditionner chez lui. L’apprentissage exigeant et difficile d’un art comme porte de sortie, échappatoire et rédemption doit être aussi le moyen pour Tom de se dégager de l’emprise d’un père mi-ange mi-démon et d’une relation filiale étrangement inversée.

 

    On se doute que la filiation et tout ce qui va avec tient à cœur d’un cinéaste dont le propre père demeure l’un des scénaristes les plus géniaux de notre pays. Mais on sait aussi dans un autre registre qu’Audiard a un faible pour les malfrats de tout poil, les ambiances interlopes et glauques, les bars et les boites de nuit, les univers masculins où la femme n’est qu’un faire-valoir. Des caractéristiques mises en avant par ses précédents films, notamment Sur mes lèvres, dont De battre mon cœur s’est arrêté reprend plus d’une manie, plus d’un procédé. Sans hélas parvenir à y développer l’épaisseur psychologique de ses personnages et à nous faire partager l’itinéraire rédempteur du héros.

 

    Un tel (beau) sujet nécessite pour emporter l’adhésion un traitement épuré et un  dépiautage en profondeur des personnages. Ce que ne réussit jamais Audiard, qui au contraire paraît se désintéresser de son sujet qu’il dilue dans des digressions et des scènes périphériques inutiles. L’ennui guette dans celle de l’hôtel avec l’escroc russe. On retrouve là son goût pour les ambiances viriles et nocturnes pour lesquelles il fait certes preuve d’un talent incontestable de mise en scène, mais aussi d’une complaisance gênante pour la violence gratuite et d’un penchant à l’imagerie toc et mode. Ce que souligne les cadrages et l’omniprésence d’une musique électro-pop très tendance.

 

    Romain Duris, sur qui repose tout le film, est à moitié convaincant parce qu’il n’arrive jamais à faire oublier complètement son côté sympa et branleur qui lui colle à la peau depuis sa collaboration avec Klapisch. On ne perçoit pas avec quels tourments, quels questionnements Tom doit se débattre, hormis les contraignantes séances de répétition au piano avec une jeune chinoise – les meilleures scènes du film qui montrent combien la musique est un langage universel qui transcende les différences.

Pour bien jouer d’un instrument, il faut reproduire jusqu’à épuisement les mêmes mouvements pour acquérir fluidité et souplesse. La grâce autrement dit. Remettre son ouvrage sur le métier pour toucher de près, sinon atteindre, la perfection. Jacques Audiard aurait été bien inspiré de suivre ce précepte afin de nous épargner cet objet esthétique, mais désincarné.

La véritable évolution de Tom déclenchée par un événement dramatique qui agit comme catalyseur est d’ailleurs réduite à quelques minutes finales, preuve ultime qu’Audiard est passé à côté de son sujet.

 

    En réalisant une pâle copie de son troisième film, est-il en panne d’inspiration momentanément ou de manière durable ? L’avenir permettra de trancher.

Patrick Braganti

Film français – 1 h 47 – Sortie le 16 Mars 2005

Avec Romain Duris, Niels Arestrup, Emmanuelle Devos

 

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