cinéma

Frères d’exil de Yilmaz Arslan

[3.0]

 

 

Frères d’exil a le mérite d’annoncer la couleur d’entrée : il est en effet question dans le troisième film du turc Yilmaz Arslan d’exil et d’histoires de frères, réels ou d’adoption. Un exil qui conduit tout droit des terres arides du Kurdistan au supposé eldorado allemand le jeune Azad. Il y retrouve son frère aîné qui s’enrichit en jouant le mac violent auprès de prostituées elles-mêmes exilées de l’Est. N’approuvant pas les agissements malhonnêtes de Semo, Azad préfère intégrer un foyer d’accueil où il fait la connaissance du jeune orphelin Ibo qu’il prend immédiatement sous son aile. S’associant dans l’activité clandestine de barbier dans les toilettes nauséabondes d’un bar, Azad et Ibo essaient de survivre et de s’intégrer. Mais la rencontre fâcheuse avec deux frères turcs précipite les deux copains kurdes dans une spirale de violence ravivée par la tension séculaire entre les deux communautés.

 

Né en Turquie, parti vivre en Allemagne pour ses études, Yilmaz Arslan est au premier chef concerné par les conséquences du déracinement. Ses deux premières œuvres étaient déjà traversées par les problématiques de l’immigration et de l’intégration. Avec Frères d’exil, il opte pour un traitement frontal qui privilégie action et énergie, laissant de côté tout misérabilisme et épanchement lacrymal sur ses héros. Il est néanmoins dommage que ce parti pris de mise en scène s’accompagne parfois d’une certaine complaisance vis-à-vis de la violence ambiante. Les scènes avec le chien d’un des deux frangins turcs et d’une façon plus générale toutes les scènes de bagarre baignent dans un flot d’hémoglobine indigeste.

Cependant, Yilmaz Arslan montre bien l’escalade perpétuelle entre les deux groupes ethniques et l’alimentation de la violence par la violence. En ce sens, l’immigration exacerbe encore les tensions et multiplie les motifs de conflits. Si les parents turcs, épiciers tranquilles et travailleurs, se sont intégrés, leur progéniture, particulièrement bien bas de plafond, en proie à l’oisiveté et aux tentations occidentales sombre dans la haine et le déshonneur. Le pays riche européen, miroir aux alouettes, se mue en enfer invivable que le bon sens préconiserait de quitter vite fait.

 

Dédié à Pasolini, que Arslan apprécie pour ses idées politiques, Frères d’exil vaut aussi pour la qualité de son interprétation. Azad frappe par sa détermination rageuse et sa mélancolie chevillée au corps, jeune adolescent sans illusions sur ce qui l’entoure. Et Ibo est un gamin futé et espiègle, profondément marqué par l’assassinat de ses parents.

Frères d’exil, brut et poétique, sauvage et concret, est une belle illustration du renouveau du cinéma germanique, en prise directe avec le monde. On avait déjà remarqué avec Head-on l’imbrication entre Istanbul et Berlin.

Même s’il n’est pas parfait, Frères d’exil n’en demeure pas moins palpitant et poignant.

 

Patrick Braganti

 

Drame allemand – 1 h 36 – Sortie le 12 Avril 2006

Avec Xewat Gectan, Erdal Celik, Nurettin Celik