cinéma

Fur : un portrait imaginaire de Diane Arbus de Steven Shainberg

[2.5]

 

 

Un plan plutôt réussi de ce Fur : Robert Downey Jr., statique et vieilli, surgissant comme un fantôme caché dans le film, qui s’extirperait soudain d’un mauvais rêve (vie chaotique, carrière décevante, pilosité extrême, Fur médiocre) et dont le visage fixe parvient à lui seul à faire trembler une image jusqu’ici plutôt lisse. La portée de son irruption n’est pas explicable : elle ne tient ni à la chute du maquillage grand-guignol qui l’affuble jusqu’ici, ni au geste photographique fondateur d’une certaine Diane Arbus – éveil, premier cliché : cette symbolique foutraque dont ce film voudrait nous persuader -, ni même à l’ennui général qui a depuis longtemps gagné le spectateur. On la situera donc, à défaut d’autre chose, du côté d’une parole d’autant plus vive qu’elle se ramasse sur elle-même. Bref, aussi surprenant que cela puisse paraître, d’un éloge de la photographie.

Autre plan qui ne manque pas de sel : Nicole Kidman exhibitionniste sur sa terrasse de Manhattan. Une entaille au cœur de l’imagerie domestique chichiteuse et bourgeoise, geste purement sexuel, ouverture franchement bien vue sur le travail de l’art. C’est le meilleur côté de ce Fur sans caractère, d’avoir perçu la valeur décisive des fondamentaux sexuels dans le geste artistique. En arrachant son corps à ses enveloppes sur-soulignées (robes fifties, manteaux de poil, robes légères, underwears et au final – ce qui revient au même – plus rien : Nicole traverse en nu intégral (ce qui nous fait dire que Steven Shainberg ne sait pas de quoi il parle, qu’il n’a jamais pensé l’éveil sexuel de Diane Arbus autrement que comme un grand manifeste du « je m’assume complètement c’est clair ») la pelouse d’un camp rigide de nudistes stricts et pas drôles du tout), Kidman devient jouissive dans sa mue progressive, le vacillement frémissant de son désir, son avancée pas à pas et en même temps totale dans le champs de l’expérimentation. Plus hitchcockienne que jamais, brune absolue, elle fait écho, en cette certaine Diane Arbus, à l’Alice bourgeoise et rigide d’Eyes Wide Shut. Topo identique – mariage, enfants, fantasme – pour issue variable. De l’ordre retrouvé chez Kubrick ; du désordre poursuivi cette fois.

Voilà qui aurait largement suffit à faire un film, un bon précepte de départ pour l’éclosion pourquoi pas d’une œuvre. S’il n’en est rien, si le récit s’étire interminablement dans un rythme neutre et sans personnalité, c’est d’abord – terrible constat pour une variation libre autour de la vraie Diane Arbus – par prosternation convenue au grand Dieu de la vie telle qu’on l’imagine en occident 2007. Premier visé : ce ciment romantique dont le cinéma cliché étire ses pauvres mièvreries (on a vu pire) pour balourdiser n’importe quel éclat un peu subtil, simplifie en somme le complexe entremêlement intime d’un être humain vivant. La trajectoire de cette certaine Diane Arbus est arquée depuis la peur effrayante (la belle bête porte un masque) jusqu’au suicide assisté (plan publicitaire) via l’extase in the bed. Extase d’ailleurs toléré pourvu que l’homme velu se purifie, rasage de près, limite imberbe (longue séance en cabinet d’esthéticienne improvisé, qui réduit naïvement en poussière le discours répété sur le thème « nos amis les bêtes » (carnaval incessant, mi-fasciné mi-voyeuriste, d’un groupe de personnes souffrant de malformations variées mais vraiment alors vraiment super sympas)). 

Corollaire inhérent au vieux fond romantique, une quête initiatique sous-tend l’arc vertueux. La vie, en gros, ce serait cela : un parcours par étapes facilement repérables, filmé as usual façon Disney, référence ultra-convoquée inconsciemment ou pas – Blanche-Neige, La Belle et la bête, Cendrillon : cette ligne générale. De l’art, celui de la vraie Diane Arbus par exemple, il n’est jamais vraiment question. De l’esquisse aperçue, il ne reste presque rien. Son geste radical, destructeur de repères, déstructurant l’identité, échappe – de très loin – à la pensée de Steven Shainberg.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain (2005) – 2H– Sortie le 10 janvier 2007

Avec Nicole Kidman, Robert Downey jr., Harris Yulin...