cinéma

Gerry de Gus Van Sant     

 

 

    Gerry fait partie de ces films que l’on adorerait ne pas avoir encore vus, afin d’être encore vierge de ces sensations que l’on n’aurait jamais imaginé pouvoir ressentir à la vision d’un film au cinéma.

 

    Pour parler au mieux de ce film, je suis obligé de faire un retour en arrière. Rien ne distinguait ce film des autres dans le programme anonyme des Rencontres internationales de cinéma à Paris de novembre 2002. A l’époque, rien n’avait été écrit sur ce film qui avait été très peu vu. Bref, les conditions idéales pour découvrir un film en toute innocence.

Après le générique de fin, c’était une toute autre histoire et, les sens affolés, les jambes tremblantes et le cœur palpitant, il fallait se pincer pour se rendre compte que ce qui venait de se passer était bien réel. Je venais de voir un chef-d'œuvre phénoménal, mais en même temps un film OVNI.

Un film dans lequel tout pousse à l’admiration et en même temps un film trop étrange pour pouvoir imaginer une sortie en salles. Un film qui fait exploser le format hollywoodien imposé dans le cahier des charges des majors, malgré les noms des deux acteurs, Matt Damon et Casey Affleck, loin d’être inconnus. Bref, un film que l’on pensait être malheureusement condamné à une programmation se limitant aux festivals.

Heureusement, miracle !, Gus Van Sant a enchaîné immédiatement avec une autre merveille : Elephant. Tout le monde connaît la suite. Sélection au Festival de Cannes 2003, trois récompenses, dont la plus prestigieuse, la Palme d’or. Les critiques s’affolent, Elephant fait la couverture de tous les magazines et rencontre le succès que l’on sait. C’est grâce à cette couverture médiatique que Gerry a enfin pu trouver un distributeur en France, le même d’ailleurs que pour Elephant, MK2 Diffusion. Et l’on peut encore aller plus loin, car ce succès va également permettre au premier long métrage de Gus Van Sant, Mala Noche (1985), toujours inédit en France, de sortir -enfin !- en juin sur les écrans! Une belle histoire, non ?

 

    Mais revenons à Gerry, simple histoire de deux jeunes hommes, prénommés tous deux... Gerry, qui se perdent dans le désert. Amusés au début, ils prennent peu à peu conscience de leur situation et perdent tout espoir de retrouver leur chemin. De plus, leur long périple mettra à rude épreuve leur amitié et leurs acquis.

Tout d’abord, aucun film n’a jamais aussi bien montré la perte d’un individu. Innocence, amitié, espoir, tout vole en éclat.  Les deux Gerry sont absolument seuls en plein désert, sans eau, sans boussole, sans trousse de survie.

Ils n’ont donc qu’une seule chose à faire, marcher et marcher afin de retrouver leur route. Et Gus Van Sant a décidé de nous faire marcher avec eux, ce qui se traduit par des travellings sans fin et majestueux qui dilatent le temps et l’espace. Le spectateur est pris dans une sorte de « trip » sensoriel dans lequel il perd lui aussi ses repères.

La mise en scène de Gus Van Sant est époustouflante, tout comme son travail sur la durée des plans, inspiré notamment des films de Béla Tarr (Satantango, 7h25 !) et de Chantal Akerman (Jeanne Dielman 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, 3h20 et que l’on dirait tourné en temps réel). Les exemples de scènes splendides sont innombrables. On retiendra surtout cet immense travelling latéral, dans lequel Gus Van Sant cadre les visages des deux Gerry de profil, côte à côte, avec un mouvement de tête parfaitement synchrone au début et qui se décale au fur et à mesure qu’ils avancent.

Le lent travelling circulaire autour de Casey et Affleck est l’une des scènes les plus bouleversantes vue au cinéma ces dernières années.

La scène du rocher, que l’on ne dévoilera pas, est une réjouissante surprise et également parfaitement réussie.

On retrouvera des mêmes éléments de mise en scène dans Elephant, dans lequel le réalisateur s’est amusé à faire des clins d’œil en incluant les deux Gerry dans le jeu vidéo auquel joue l’un des deux tueurs (qui s’amuse à tirer avec différentes armes sur les deux Gerry !). Et l'on remarquera les deux mêmes plans en contre-plongée sur les deux visages (les deux tueurs qui révisent leur plan d'attaque du lycée dans Elephant et les deux Gerry qui dessinent sur le sol leur parcours effectué).  Gerry et Elephant seront donc désormais inséparables dans le coeur des fans de Gus Van Sant. Et si le réalisateur de Portland n’en est pas à son premier coup de maître, il y a de quoi devenir vraiment sérieusement fanatique avec ce parfait enchaînement, qui nous fait plus que désirer son prochain film.

 

    En plus des images incroyablement belles, on ne peut être que bouleversé par la musique tintinnabulante d’Arvo Pärt, Alina, si souvent utilisée au cinéma, mais qui semble avoir été composée expressément pour Gerry. Il est d’ailleurs amusant de savoir que l’une des pièces d’Alina s’appelle Spiegel im Spiegel (Le Miroir dans le Miroir), alors qu’un Gerry pourrait bien être le reflet de l’autre...  A ce propos, les acteurs sont tous les deux parfaits, mais l’on préférera Casey Affleck, qui détient le rôle le plus intéressant.

 

    Après avoir vu Gerry, rien ne sera plus jamais comme avant. Mais bien évidemment, tout le monde ne sera pas aussi sensible à cette expérience sensorielle. Gerry est un film que l’on adorera à condition d’aimer le mystère.

 

Yann

 

Etats-Unis – 2002 – 1h43 – couleur – sortie nationale le 3 mars 2004