cinéma

La guerre des mondes de Steven Spielberg 

[4.0]

 

 

    Le métal c’est mal : bouché compact, et voilà abolie toute possibilité de transparence, une fosse à secrets et mystères mais surtout pas –exemple au hasard- un écrin luminescent s’éclairant au gré des battements du cœur (ou du doigt pointé vers le ciel) d’un alien marron pressé de téléphoner chez lui. Qu’est-ce qui se cache en définitive derrière ces grosses structures pataudes mais diablement efficaces dont Spielberg fait des E.T. ? Un moteur ? Un estomac ? Un œsophage ? Des oreilles ? Quelques méninges ? Allez savoir. Cette trompe couleur chair, tenez, qui aspire (forme tuyau donc) les corps des humains en ballast sous la chose : quelle est sa fonction exacte ? Toc Toc ! Who’s there ?

 

    Elle vient d’un autre monde, ça sent son terroriste upper-class, du jamais vu sauf que, tout de même, le métal, ça, on connaît. Buildings, trains, voitures, avions, aiguilles et cuillères : c’est notre lot commun. Mais, chez nous, le métal vi(bre)t ; la ville le soir scintille de ses mille feux, la lumière c’est la vie qui traverse les structures échafaudées, peut-être même est-ce à travers elle qu’ils nous ont observés, espionnés, fichés pour préparer l’aube du D-Day (l’extra-terrestre connaît la coutume, il frappe à l’heure du petit déjeuner).

 

    On est donc ravi de constater – le ravissement ira croissant lorsque nous observerons de visu nos ennemis d’un autre monde déambuler dans la maison : ce sont en quelque sorte des cousins dégénérés avec un corps symétrique au nôtre (à peu de choses près) : deux yeux, une bouche, le tout à l’endroit – que les peuplades disséminées à travers l’univers utilisent les mêmes matériaux. Le métal c’est génial, ça permet d’inventer toutes sortes d’armes de combat et de battre campagne parfaitement protégés, superbement inhumains. Lorsqu’il (le métal) cesse de résister et finit par s’ouvrir (mode fatigue générale, une heure cinquante-six minutes de conquête, c’est long), des lamelles de chair –bon sang mais c’est bien sûr- apparaissent : le corps agonisant de l’ennemi est un corps qui vaut la peine d’être vivifié (sens propre) donc démétallisé, humanisé car inoffensif.

 

    D’abord réticent à l’idée de jouer à son tour du métal, Tom Cruise – héros spectateur dont l’unique fonction consiste à survivre approximativement pour maintenir vaillant le seul point de vue (le sien) que le film porte – finit par se lâcher dans un accès de violence comme l’ennemi ne peut que les aimer, les respecter ; la hache (vieille tradition artisanale) perfore la tête chercheuse électronique limite fouineuse (mode High Tech) de la chose agressive, qui recule – première encoche. L’appétit venant en mangeant, notre anti-héros ne s’arrête pas là : croisant sur son chemin chaotique une ceinture de grenades, il s’en déleste dans le grand aspirateur ; les éclats métalliques ont raison de la bestiole, pas plus compliqué de ça. Leçon du jour : face au métal moderne, rien de plus efficace que le métal de tradition.

 

    Hors métal , il ne reste que l’humain désemparé. On dirait l’exode, ces populations éparpillées sur les grandes autoroutes de l’Est américain. Les morts sont morts sans être vraiment morts. L’ennemi les déchiquette. Bien informé, il connaît les habitudes de la maison-terre avec cadavres effacés, sans traces et sans odeurs (beaucoup de sang par endroit tout de même). Un génie technologique violent, informé mais vincible ? On a fini par comprendre depuis le temps que tout ce qui n’est pas invincible est, par définition, d’essence humaine. La question est donc légitime : ces créatures d’un autre monde ne sont-elles pas au fond le fruit incontrôlé germé dans le ventre mou de la terre, sous l’effet d’une certaine irresponsabilité humaine ? L’hypothèse tient la route. Le métal, après tout, n’a aucune raison d’être apparu (sauf copié-collé depuis une autre planète mais improbable compte tenu de leur intelligence supérieure comme l’énonce solennelle la pompeuse voix off) ailleurs, le métal c’est à nous, le patrimoine de l’humanité. Mais qu’a-t-elle donc fait, pour que la lumière à présent ne filtre plus (car elle filtre partout ailleurs, y compris chez l’ex-madame Cruise, partie en week-end dans sa famille sans éteindre les lampes) ?

    Pour appuyer l’équation, réveillons les indices. Ce goût du sang d’abord, Dracula attitude, liaison dangereuse et paraphe d’acoquinement à la famille. Le langage ensuite, indéchiffrable mais fer de lance de toute communication, sans laquelle n’importe quel système d’organisation serait bancal. A moins que le son seul suffise à créer ne serait-ce qu’une ébauche de dialogue. C’est par le truchement d’un cri-sirène que l’ennemi bat le rappel des troupes ; cri-sirène en écho de ceux poussés par Rachel, petite fille effrayée en pleine crise de panique dans la voiture (métal traversé de lumière – l’ennemi comme Cruise aime toucher les voitures) ou face au regard pas vraiment joyeux de la tête fouineuse.
C’est d’ailleurs du côté de Rachel qu’il faut sans doute aller chercher la solution en forme d’indices : son regard fixe au moment d’être arrachée du sol, ses yeux dans les yeux du grand Cric, tend un fil infime mais tangible d’appréhension instantanée ; ce qu’elle vient de saisir (ce que personne jamais ne peut saisir) ? Combien l’adulte humain n’est qu’un mirage, mensonge pratique chargé de recouvrir une désinvolture coupable et criminelle dont la bête hystérique n’est qu’une émanation.

Christophe Malléjac

 

Film américain – 1 H 56 – Sortie le 6 Juillet 2005
Avec Tom Cruise, Dakota Fanning, Justin Chatwin

 

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