cinéma

Les Infiltrés de Martin Scorsese

[2.5]

 

 

Il y a quelque chose d’un peu obscène dans la façon dont, s’emparant de Infernal Affairs, Martin Scorsese ne livre au final qu’un long thriller classique, copie quasi conforme de l’original. Rien ne s’opposait pourtant au projet : à l’instar du Jazz, l’histoire du cinéma s’est bâtie sur quelques thèmes élémentaires joués, rejoués, transformés au gré des singularités propres à chaque artiste. À Boston, à cheval sur les clans mafieux ritals et irlandais, Scorsese avait pourtant le champ libre à l’expression de ses vieilles obsessions, historiquement déjà datées (nouveaux mode de grande délinquance, irruption de réseaux mafieux) mais filtres idéals pour d’autres questionnements – religion, vie, mort, identité, déclin, vieillesse – et symptômes évocateurs d’une modernité universelle.

 

La situation est complexe car, pour qui n’aurait pas vu l’Infernal Affairs HK, Les Infiltrés offre un paquetage intelligent et enlevé – sans doute trop, où la touffeur scénaristique forme une contrainte évidente à l’intrusion de la caméra par-delà la façade noisy du premier jet. Il est frappant de constater que, même diminué - ici comme au temps de son autre remake (« Les nerfs à vif ») -, Scorsese écrase la concurrence occidentale, jeune ou ancienne, sachant d’ailleurs discrètement insuffler à ses films les ressorts contemporains - dont une certaine idée de la vitesse pure, troquée contre ses légendaires travellings – imprégnant du même coup son cinéma d’une réelle efficacité entertainment au détriment – faute de place – d’éléments plus réflectifs.

 

Si, par exemple, le Catholicisme scorsesien en fait les frais (réduit ici à une poignée de curés pédophiles), c’est surtout le sujet de fond des Infiltrés  - Solitude et Identité figurés dans les corps immaculés de Matt Damon et Leonardo DiCaprio – qui s’en trouve dévidé. Ni la place, ni le temps : il se laisse esquisser à gros traits sans qu’on en saisisse véritablement l’essence intime. De ce point de vue là, l’Howard Hughes d’Aviator emportait autrement la mise, fantôme mythologisé dans sa détresse à l’écart du bavardage, donc du récit (Pitch, histoire) lui-même.

 

Difficile, dans ces conditions, de saisir les motifs d’un tel projet. Récupération facile un peu rapace (réduisant, à l’intérieur même du film, la figure asiatique à un simple gesticulateur hystérique que Nicholson remet au pas en élevant la voix), geste qui s’auto-neutralise dans la paraphrase bavarde (parallélisme des structures, de l’utilisation de la musique, de plusieurs scènes malgré une fin plus « politiquement correct » cette fois), malle aux trésors pour réalisateur à court d’idées. L’histoire a montré combien Scorsese, forçant les limites de son art, savait débroussailler des voies qu’emprunteraient ensuite – avec plus ou moins de pertinence – de nombreux cinéastes. Inversion de tendance, donc, en 2006. Des Infiltrés mineurs dans un parcours majeur, au fond, ce n’est pas très important.

 

Christophe Malléjac 

 

Film américain – 2H30 – Sortie le 29 Novembre 2007

Avec Matt Damon, Leonardo DiCaprio, Jack Nicholson

 

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