cinéma

Intolérable cruauté de Joel & Ethan Cohen   

 
 

    Les prémices du nouveau film des Coen bros avaient de quoi laisser dubitatif: une volonté clairement affichée de leur part de toucher un plus large public, la présence au générique d’une Catherine Zeta-Jones à priori un peu en décalage avec leur univers, les avocats et la justice pour cible un brin démago, une bande-annonce très banale et peu attirante… Même la présence d’un George Clooney pourtant très en verve et à l’aise dans  leur O’Brother s’apparentait à une concession hollywoodienne de plus.

 

    “Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?”… Oui, les avocats et leur manque de morale sont une cible aisée, de même que la haute-bourgeoisie californienne et son incroyable vacuité. Oui, Intolerable Cruauté est le Coen le plus mainstream, le plus “populaire”. Pourtant, une fois de plus, ils y démontrent leur subtilité, leur science du scénario et de la construction.

 

    La scène du pré-générique est ainsi un modèle du genre: alors qu’elle aurait pu se contenter de simplement poser le thème du film (les mariages vénaux), son atmosphère (résolument légère et comique), son style (extrêmement rythmé) avec des personnages n’ayant à priori d’autre nécessité que celle mentionnée ci-dessus (savoureux Geoffrey Rush en caricature de producteur de soap post-soixante huitard), elle se révèlera en fait la clé de toute l’intrigue. Bien sûr, elle ne sera révélée que dans son dernier tiers.

 

    Auparavant, Joel et Ethan se seront livrés à l’un de leurs exercices favoris : l’hommage à la grande tradition hollywoodienne, en l’occurrence les comédies des années 40. Fort heureusement, ils semblent avoir retenu les leçons du semi-échec du Grand Saut, exercice un peu vain car figé dans sa reconstitution impeccable. Et si Clooney-Zeta Jones nous rappellent les mythiques couples d’antan (avec plus précisément Cary Grant et Lauren Bacall en ligne de mire) ils sont indubitablement de notre époque et ne sont fidèles aux glorieuses screwball comedies que dans leur esprit. Ils sont ce couple glamourissime et contrarié durant 1h30 jusqu’à ce qu’un final à la fois logique et gentiment amoral (donc typiquement « coenien) les poussent dans les bras l’un de l’autre.

 

    Autre gimmick cher aux cœur des  deux frangins : l’humour cartoonesque. Effleuré dans la première scène de procès, mettant en scène l’inénarrable baron « Puffy » Kraus von Espy (sic), il est totalement assumé dans la scène finale dite « de Ventilo Joe », avec en vedette un inhalateur farceur et un George Clooney absolument déchaîné.

 

    Comment en effet ne pas s’attarder sur celui qui porte le film, qui emporte toutes les scènes et tous les suffrages ? Jouant à merveille de son charme viril et de son sens inné de l’autodérision, il se révèle tour à tour hâbleur, irrésistible, ridicule, pathétique même. Héritier des stars masculines d’antan et porteur d’une distance sur lui et son travail absolument contemporains, il est le véhicule parfait du cinéma des frères Coen. Il mérite à lui seul le déplacement pour un film qui ne fait peut-être pas partie des chefs d’œuvre de ses auteurs, mais qui n’en constitue pas moins une œuvre trépidante, drôlissime et irréprochable dans son genre.

 

Laurent