cinéma

Jardins en automne de Otar Iosseliani

[5.0]

 

 

Otar Iosseliani devrait être remboursé par la Sécurité Sociale tant le cinéma de ce jeune homme de soixante-douze printemps – ou automnes, pour le coup – est plein de vitalité, d’inventions qui nous fait sortir de la projection le cœur léger et le pas alerte, revigorés par son regard insolent et affûté.

Dans une époque imprécise, pas directement rattachée à des événements précis même si elle entre en résonance avec l’actualité immédiate (manifestations dans les rues, problème des sans-papiers et des émigrés), Vincent est un ministre élégant, occupé à maintes inaugurations, banquets, vins d’honneur, réunions avec des officiels étrangers. Ayant provoqué l’agacement de ses supérieurs pour une raison inexpliquée, Vincent contraint à la démission quitte les ors de son ministère, de sa belle maison et, tournant définitivement le dos à une vie de pouvoir et d’apparence, renoue avec ses amis, batifole avec ses anciennes maîtresses et commence à vivre, profitant des simples plaisirs de la musique, d’un bon repas entre copains copieusement arrosé.

 

Comme toujours chez le réalisateur géorgien, adopté par la France depuis plus de vingt ans, la fable est la forme utilisée. La nouveauté ici est qu’elle n’investit pas que le seul champ de l’univers familial, mais aussi celui de la société. Iosseliani montre l’avidité des gens et leur soif inextinguible de pouvoir. Le déménagement de Vincent, plaqué par sa très opportuniste femme pour un ministre plus en vue, est suivi de l’emménagement du nouveau, se soldant par le grand débarras des affaires du précédent, le changement de mobilier et d’équipe. C’est drôle et fin, le trait à peine appuyé et qui pourtant fait mouche.

Chez son ancienne compagne, Vincent est très mal reçu, celle-là étant elle aussi dans ses cartons, ce qui donne l’impression que tous les endroits traversés sont en perpétuelle mutation. Un vaste foutoir, un joyeux bordel que découvre aussi Vincent quand il veut réintégrer son ancien logis, squatté par une tribu noire de clandestins. Mais tout cela n’est jamais ni grave ni tragique. Vincent s’en retourne vers sa mère, campée par un Michel Piccoli épatant dans une composition de vieille femme régissant tout son monde, ravie de la direction prise par son rejeton.

 

Bien sûr, pour apprécier le monde fou et irrationnel du réalisateur de Lundi matin, bric-à-brac décalé et surprenant, il vaut mieux laisser au vestiaire son esprit cartésien. Mais accepter de se laisser bringuebaler dans cet univers tenant du bestiaire et de la cour des miracles procure un véritable bonheur. La mise en scène est un tourbillon continuel. On aime la fluidité des plans séquence dans lesquels les va-et-vient et les mouvements des personnages sont permanents. Dans Jardins en automne, on manifeste un goût prononcé pour le comique du geste burlesque et de la pantomime, mettant à l’arrière-plan les dialogues.

Tous les défenseurs de la liberté, les épicuriens en tout genre ne peuvent qu’être réjouis par un cinéma en roue libre, prônant les valeurs simple du partage.

Néanmoins, sous ses dehors légers et futiles, Jardins en automne laisse entrevoir que la saison évoquée est aussi celle des regrets, des bilans et du sentiment possible d’un temps gaspillé. La scène d’ouverture où trois vieux hommes se querellent sur le choix de leur cercueil montre à la fois que la mort ne clôt pas la cupidité et la proximité de l’échéance finale. Et la dernière scène, repas au crépuscule d’une smala disparate et cocasse, peut être vue comme un banquet d’adieu, celui où on aimerait réunir tous ceux qui ont compté un jour ou l’autre.

 

Courez donc gambader dans ces Jardins en automne pour un bol d’air revigorant et pour une leçon de savoir-vivre, dispensée avec une minutie désinvolte et une classe folle.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 57 – Sortie 6 Septembre 2006

 

Avec Séverin Blanchet, Jacynthe Jacquet, Lily Lavina