cinéma

Jesus Camp de Heidi Ewing et Rachel Grady

[4.0]

 

 

Plus qu’un sentiment de colère, de dérision ou d’accablement, c’est la tristesse qui submerge le spectateur face à Jesus Camp, saisissant film auréolé de l’Oscar du meilleur documentaire 2007, à laquelle vient s’ajouter par la suite une impression sourde de malaise, voire de frayeur.

 

Notre mélancolie s’explique aisément : les êtres qui sont au centre de ce qui nous est montré sans aucun artifice de commentaires sont des enfants, en majorité âgés de moins d’une dizaine d’années, cibles des sessions d’embrigadement menées par des évangélistes radicaux. Jesus Camp suit plus précisément le travail de Becky Fisher, pasteur pentecôtiste spécialisée dans l’éducation religieuse de la jeune génération. Avec un minimum de bon sens, la question qui affleure aussitôt est d’imaginer, sinon de comprendre, comment l’on peut faire subir cela à des mômes, innocents et crédules, transformés en véritables « petits soldats ». Car les motifs de la propagande des chrétiens évangéliques américains sont confessés sans ambages : un tiers de la population mondiale a moins de quinze ans, l’Islam en Palestine, au Pakistan n’hésite pas à faire de ses enfants des guerriers en puissance prêts à sacrifier leur vie au nom de leur Dieu. Comme les Etats-Unis avec leur 224 millions de chrétiens dont une petite moitié de confession évangélique se définit comme la nation de Dieu – voir simplement les paroles de l’hymne national - , c’est tout logiquement que des prédicateurs comme Becky Fisher, persuadée de détenir la vérité – sans rire, elle le dit elle-même devant la caméra – servent aujourd’hui de catalyseurs à l’émergence et au développement de ce courant dont l’influence grandit d’année en année.

 

On est donc atterrés et horrifiés par les pratiques de cet étrange Jesus Camp, espèce de camp estival d’une nouvelle race de scouts endoctrinés par le pasteur et quelques sbires, enjoints à prier pour la pureté de leur nation, le salut du président Bush et l’interdiction de l’avortement. On assiste à des scènes délirantes où la logorrhée doctrinale assénée avec force et répétition amène des gamins à se tordre comme sous l’emprise de la transe, laisser couler des larmes non feintes et réfléchir à haute et intelligible voix sur la puissance du mal et la nécessité de s’en remettre à Dieu. Tous ces enfants qui pourraient prêter à rire et font surtout pitié sont élevés par des familles dans ce nouvel esprit évangélique, en prônant notamment les théories créationnistes – en opposition frontale à la pensée darwiniste – et en refusant le système scolaire en place. Ainsi beaucoup d’entre eux reçoivent une éducation à domicile, parfois dispensée par leurs propres parents.

 

L’influence croissante du mouvement depuis cinq ans environ tend de plus en plus à installer une scission dans le pays, où la confusion entre pouvoir et religion est de plus en plus prégnante. Conscients de leur poids électoral – les évangéliques ont représente 53 % des suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle - , Becky Fisher et ses amis revendiquent « une Amérique pour le Christ » et mettent en place une lame de fond en devenir : comment cette génération embrigadée va peser sur l’avenir du pays lorsqu’elle aura atteint l’âge adulte.

Il y a bien de quoi éprouver quelque peur face à l’évolution de la première puissance planétaire, traversée par cette fracture et clivée en deux blocs qui ne se côtoient plus : l’un laïc avec une pratique modérée de la religion et l’autre, néo-conservateur, qui renforce ses effectifs recrutés parmi les plus jeunes pour faire la guerre – le terme revient régulièrement dans la bouche de Becky Fisher – à la décadence morale et à toute idée de progressisme social, grâce notamment à la mainmise sur un certain nombre de média – l’audience des radios chrétiennes a augmenté de 43 % en cinq ans.

 

Jesus Camp souhaite susciter la réflexion et déclencher des questionnements auprès de ses spectateurs, ce qui paraît acquis compte tenu de l’impression de répulsion qui pourra les saisir. On peut aussi regretter que le documentaire ne donne pas plus de clefs sur les liens avec le pouvoir en place et l’organisation d’un tel mouvement, car parfois on éprouve une vraie lassitude à devoir subir malgré nous les prêches délirants d’une bande de bateleurs passablement allumés.

Enfin, inutile de renvoyer à ce qui se passe aujourd’hui sur notre propre territoire où les perspectives de stigmatisation de certains groupes et d’instauration corollaire de lignes de démarcation multiples et changeantes n’ont jamais été aussi réelles et proches.

 

Patrick Braganti

 

Documentaire américain – 1 h 25 – Sortie le 18 Avril 2007

Avec Becky Fisher, Mike Papaantonio