cinéma

Jour et nuit de Wang Chao    

 

 

    La mine de charbon encore largement exploitée en Chine constitue un excellent décor (gisement est le terme approprié) pour les cinéastes aujourd’hui. On se souvient avec plaisir de ce thriller singulier Blind Shaft (2003) où deux mineurs provoquaient des accidents pour toucher des primes d’assurance. Dans Jour et Nuit, pas d’associations de malfaiteurs ni de personnages sans scrupules. Bien au contraire, la culpabilité traverse entièrement le film, version moderne du mythe de Sisyphe.

 

    Au nord du pays, près de la Rivière Jaune, Guangsheng est l’apprenti du vieil Zongmin, son maître affaibli, qu’il ne parvient pas à sauver d’une explosion souterraine. Le jeune homme est rongé par le remords, d’autant plus qu’il est aussi l’amant de la jolie épouse de Zongmin. Il en devient impuissant et insensible aux mains des masseuses. Alors que la mine ferme, le Comité du Parti loue les puits restants à Guangsheng qui devient un homme riche, mais toujours hanté par les souvenirs culpabilisants. Pour se racheter et honorer une ancienne promesse faite à son maître, Guangsheng organise le recrutement d’une future épouse pour le fils attardé de Zongmin dans une scène cocasse et pathétique. Le sentiment trouble qu’il éprouve pour la jolie Hong Mei n’est pas fait pour arranger son état. Son salut passera par la fuite et peut-être la rencontre de l’amour…

 

    L’orphelin d’Anyang, premier long métrage de Wang Chao, nous avait emballé par sa rigueur, son épure et son élégance au service d’un sujet fort, ancré dans la réalité la plus sordide, symptôme de l’évolution du pays. On peut être rassurés, on retrouve ce regard et cette approche dans le second film de Wang Chao, succession de longs plans fixes et larges dans lesquels les personnages sont souvent montrés à l’arrière-plan et presque hors cadre, magnifiquement éclairés comme des tableaux de Quentin De La Tour. Aucune scène ne se passe au fond de la mine, seulement symbolisée par la bouche d’un puits où s’enfoncent les ouvriers.

Le cinéaste joue aussi sur les contrastes : ciel bleu et limpide, pleine lumière à l’extérieur alors que les intérieurs sont sombres. Jour et Nuit est très dépouillé, avare de dialogues. Le jeune Guangsheng muré dans sa culpabilité en devient mutique et affiche un magnifique visage fermé et impassible. De son côté, A Fu le fils dont le meilleur ami semble être son âne, ne prononce quasiment aucun mot.

 

    Se réclamant de l’influence de Bresson et d’Antonioni, Wang Chao livre un film sur l’idée de rachat d’une faute et de l’échec de ce rachat et prouve que «  l’homme est un simple mortel emprisonné dans ses désirs ». Mais le grand atout de Jour et Nuit est aussi d’être une parabole acérée de l’incroyable mutation de la Chine. La transformation de la mine d’état en mine privée, le nouveau statut de Guangsheng patron riche montrent bien l’installation du pays dans le capitalisme. Lequel est encore bien fragile comme le démontre cette jolie séquence où la jeune Hong Mei, qui sera la prochaine directrice de la mine, rejoignant Guangsheng sur un lac gelé, passe soudain à travers la glace.

 

    Esthétique et rigoureux, Jour et Nuit, fable moderne sur la détresse des hommes dépossédés et égarés, dont le titre annonce déjà le contraste et l’opposition, parvient à injecter surnaturel et onirisme – les scènes autour du feu – dans son propos. Il confirme surtout le talent de ce cinéaste désireux de se confronter au réel et à la nature humaine.

 

Patrick Braganti

Film chinois – 1 h 35 – Sortie le 02 Février 2005

Avec Liu Lei, Wang Lan, Xiao Ming

 

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