cinéma

La petite chartreuse de Jean-Pierre Denis 

 

 

    La jeune Pascale n’est pas à proprement parler une mère indigne. Juste un peu défaillante et absente, à sa propre vie et par ricochet à celle de sa petite fille Eva dont elle ne s’occupe qu’au prix de ce qu’il faut bien nommer des efforts. Comme le dit l’institutrice d’Eva, cette mère-là, « fâchée avec sa montre », loupe régulièrement l’heure de la sortie de l’école. Lassée d’attendre, désireuse de libertés peut-être, Eva n’attend plus et s’enfuit en courant dans les rues grenobloises. Telle un oiseau affolé, elle vient s’écraser contre la camionnette d’ Etienne Vollard. Pour cet homme solitaire et bougon, libraire envahi par la mémoire des textes, cet accident agit comme un révélateur. Alors que Pascale s’avère impuissante à parler à sa fille tombée dans le coma, Etienne se sent investi de la mission de la parole et de la protection dans le double rôle du père putatif et de la mère larguée.

 

    Il n’était pas facile d’adapter à l’écran le roman à succès de Pierre Péju ; la complexité des personnages, l’aspect singulier de l’histoire et sa portée quasi métaphysique comme autant d’obstacles. Le rare Jean-Pierre Denis s’en est tiré moyennement en prenant quelques – bizarres - libertés avec le livre et en optant pour une réalisation épurée tournant le dos au pathos. Pourquoi avoir fait de Vollard un ancien alcoolique ? Pascale malgré l’accident reste une mère indécise, pas concernée et choisit la fuite en allant travailler à Lyon, confiant Eva, placée dans une institution, aux bons soins de Vollard.

Néanmoins, Denis ne parvient pas à retranscrire une des idées essentielles du roman, celle du pouvoir de la littérature et de la force des mots. Cet aspect-là est ici cantonné à quelques scènes de lecture solitaire ou à haute voix pour Eva simplement illustratives.

Là où le livre était une ode à l’imaginaire, le film se confronte au réel et propose ainsi une autre vision, pas moins juste pour autant, un rien déconcertante pour ceux qui ont lu Péju. Le réel de l’hôpital filmé sans souci d’atténuation, le réel du passé de Vollard à la vie privée déglinguée, le réel d’Eva enfermée dans son mutisme et son monde, de plus en plus affaiblie.

 

    La Petite Chartreuse est âpre et il n’est pas aisé de rentrer dans ce film court et ramassé.  Difficile d’éprouver de la sympathie pour cette mère qui n’assume pas son statut et ce libraire rugueux et sanguin. Marie-Josée Croze est peu convaincante mais le rôle ne l’y aide pas. Quant à Olivier Gourmet, il rejoue avec moins de talent et de génie le moniteur cabossé en voie de pardon du Fils des frères Dardenne.

En conclusion, tout sonne plutôt faux dans ce film mal équilibré où certaines scènes sont trop étirées au détriment d’autres à peine esquissées. Le faux pas le plus significatif est la brièveté de la séquence où Vollard s’essaie au saut à l’élastique, une véritable souffrance physique vue comme expiation. Scène clef du livre, elle est à l’image vidée de son sens.

Sans douter de la sincérité du cinéaste des Blessures Assassines, force est de constater que son travail plat et convenu déçoit, à fortiori si le spectateur a d’abord été lecteur.

 

Patrick Braganti

 

Film français – 1 h 30 – Sortie le 23 Février 2005

Avec Olivier Gourmet, Marie-Josée Croze, Bertille Noël-Bruneau

 

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