cinéma

Las horas del dia de Jaime Rosales1/2

 

 

     Des plans larges qui se resserrent  : une rivière, un carrefour giratoire, un immeuble et une salle à manger d’appartement, où deux personnes prennent leur petit-déjeuner. Voici la manière progressive dont nous entrons dans ce premier film espagnol et dans la vie d’Abel (Alex Brendemühl). Cent-dix minutes plus tard nous quitterons Abel – et le film – de la même façon, mais cette fois-ci à rebours. Comme deux parenthèses formelles qui encadrent et délimitent le sujet. Le sujet, c’est donc Abel, trentenaire indifférent qui ne semble guère atteint par ce qui l’entoure. Il habite avec sa mère qui le materne un peu, a une petite amie avec laquelle il a envie de faire peu de choses, un bon pote et s’occupe de la boutique vieillotte de vêtements de sa mère. Rien de très original, au détail près que Abel tue de temps en temps. Il appartient ainsi à la catégorie des « tueurs en série » puisqu’il y a ici répétition du geste, mais aussi mode opératoire identique.

 

    Le film n’est pas un polar : pas d’enquête, et encore moins d’explications données à ces meurtres sordides. Le premier perpétré sur une femme chauffeur de taxi renvoie dans sa brutale sauvagerie et son absence de motifs à la scène choc en tous points comparable de Tu ne tueras point, un des dix films – sans doute le plus fort – du Décalogue de Kieslowski.

La position du spectateur est pour le coup ambiguë car celui-ci est rendu à la fois complice, puisque personne dans l’entourage d’Abel n’est au courant de ses pratiques, et voyeur d’un malaise persistant, distillant répulsion et attraction. Car malaise, il y a bel et bien, ce qui fait tout l’intérêt vénéneux de ce film traité en longs plans-séquence dans un coin de la banlieue barcelonaise – loin des ramblas et endroits branchés – sous un ciel lourd saturé de couleurs poisseuses.

Malaise donc ressenti face à Abel, ce personnage trouble et peu sympathique, qui pourrait être le lointain cousin de Patrick Bateman, le héros de American Psycho de Bret Easton Ellis. Regardant le monde à travers des yeux clairs, froids comme l’acier et peu expressifs, Abel ne paraît pas pouvoir être ébranlé par quoi que ce soit : ni par les conflits avec l’ employée de sa boutique, ni par le départ brutal de sa petite amie qu’il troque d’ailleurs facilement pour une autre, ni par la rupture avec son pote le jour de son mariage. Pas de cris, pas d’emportements, juste une indifférence, comme une fuite en avant perpétuelle. L’opacité du personnage propice à toutes les interprétations – les crimes comme exutoires ou expressions paroxystiques, qui finissent presque par être irréels – donne toute sa force à ce film singulier et abouti. Bien sûr, le désir de ne pas justifier rappelle ici la démarche de Gus Van Sant pour Elephant.

 

    Faisons fi de comparaisons casse-gueule et ramenons ce film à sa juste dimension : celle d’un premier opus maîtrisé et original, qui puise toute sa force dans la construction d’un personnage complexe. Et prouve aussi que le cinéma hispanique ne se résume pas au seul Almodovar.

 

Patrick

 

Espagne – 1 h 49 – Sortie le 10 Mars 2004