cinéma

Last days de Gus Van Sant 

[4.0]

 

 

Pour 

 

    Perte des repères d’emblée : nous voici plongés à la suite, avec ou plutôt (souvent) derrière Blake au cœur d’une forêt à la végétation dense, touffue, puis dans la rivière, puis près du feu de bois. On comprendra rétrospectivement qu’il vient de s’enfuir d’un centre de désintoxication (drogue sans doute), comme l’on comprendra peu à peu que c’est un chanteur de rock, qui tourne dans le monde entier. On le comprendra mais sans chercher à le comprendre, sans que jamais Gus Van Sant n’essaie de nous abreuver d’informations.

 

    Nous sommes auprès de Blake et nous vivons ce qu’il vit, c’est à dire en fait ce qu’il ne vit pas. Sa démarche très lourde provient de ce corps-carcasse qu’il traîne partout avec lui –lui : des bribes d’esprit encore en vie. Il rejoint sa maison, une vaste demeure qui le reflète tout entier : luxe et harmonie de façade (l’employé des pages jaunes le confond sans sourciller –questions d’apparences- avec un entrepreneur), délabrement cradingue à l’intérieur. Chaque acte, la moindre action, lui est devenu un calvaire, s’étirant interminablement, étirant le temps dans le même mouvement. Voir les séquences en cuisine, ou comment le dernier fil le rattachant physiquement au monde (manger) est voué à l’échec.

 

    Quel que soit le nom que l’on donne au mal dont souffre Blake –dépression, spleen, folie- une chose est sûre, il n’est qu’un survivant d’outre-tombe, un vivant déjà mort. Ces dernières heures n’expliquent pas le pourquoi de son suicide annoncé (et d’ailleurs est-ce un suicide ? Gus Van Sant ne le dit pas, même si tout le suggère). On ne croit pas une seule fois qu’un événement imprévu, d’improbables retrouvailles avec sa petite fille par exemple, pourrait l’arracher à ce destin déjà en route. Car tout s’est joué bien avant, et nous assistons, impuissants et voyeurs, à un acte de mort spécifique, dans sa mise en œuvre sur la durée. Voilà pourquoi, contrairement à Eléphant, Gus Van Sant ne filme pas l’acte qui donne la mort (une balle dans la bouche ou autre chose), le dernier geste n’étant qu’un point final ne modifiant pas la donne, se contentant au contraire de la ratifier.

 

    Dans cette longue dérive, les repères temporels se sont aussi brouillés. Reprenant son procédé désormais classique de répétition d’une même scène vue sous plusieurs angles différents (Faulkner le faisait déjà), Gus Van Sant emmêle son récit épuré (beaucoup de contemplation pour bien peu d’action) vers une complexité, un brouillage de toute chronologie possible. Ces Last days sont, dans notre mémoire, aussi brumeux, aussi peu ordonnables que Blake a pu les ressentir.

On peut parfois penser au Virgin suicides de Sofia Coppola. Non que les deux films se ressemblent, mais dans cette évocation de la machinerie de mort à l’œuvre dans des corps jeunes. Cette violence, aussi, par laquelle l’esprit doit passer pour espérer l’emporter et échapper (Résurrection du Blake christique de Gus Van Sant / Les journaux intimes des adolescentes dans Virgin suicides prolongeant leurs vies par-delà la mort) à un matérialisme pesant devenu religion mondiale, véritable tube planétaire.

 

Christophe Malléjac

 

> Last Days (contre)

 

Film américain – 1 h 37 – sortie le 13 mai 2005

Avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento,

 

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