cinéma

Le livre de Jérémie de Asia Argento 

 

 

    Le second film d’Asia Argento est précédé d’une réputation sulfureuse provoquée conjointement par la personnalité même de la réalisatrice et par le sujet traité.

 

    Quelques mots rapides sur la fameuse Asia. Trentenaire en 2005, la fille unique du cinéaste italien Dario Argento spécialisé dans les films d’horreur - ah l’atavisme ! – a démarré sa carrière au cinéma comme actrice avant de passer derrière la caméra en 2000 pour Scarlet Diva, autoportrait d’une star foldingue. Chouchou de la presse branchée, possédant un réseau de relations à faire pâlir nombre de V.I.P. , elle livre un second opus totalement barré et trash dans lequel elle s’est beaucoup investi. Elle confesse « s’être mise dans la peau du personnage six mois avant le début du tournage » et qu’en définitive, c’est le personnage qui a régenté l’ambiance du filmage.

Un auteur de deux livres cultes et autobiographiques, adulés par tout ce que compte la contre-culture américaine, est à l’origine du film. Il s’agit de l’androgyne et menu J.T. Leroy qui publie respectivement en 1999 Sarah et deux ans plus tard The Heart is Deceitful above all ThingsLe livre de Jérémie, en français. Les droits du premier récit sont achetés par Gus Van Sant mais le projet avortera. Grande copine du metteur en scène de Elephant, Asia Argento craque à son tour pour l’auteur et son second livre dont elle accepte sur son insistance d’en assurer l’adaptation pour le grand écran.

Alors, qu’est ce que ce jeune auteur de vingt-cinq ans a de si extraordinaire pour susciter autant de remue-ménage ? Sa vie tout simplement, ou plus exactement son adolescence ravagée, partagée entre sa mère et des foyers d’adoption. Malgré la déchéance de cette dernière – c’est elle Sarah – la conduisant à la défonce et la prostitution, le jeune garçon n’a de cesse de toujours souhaiter repartir avec elle, quitte à vivre les mêmes galères, dans une relation fusionnelle et chaotique.

 

    Tout ceci posé, que penser maintenant du film ? Dans un premier temps, pas grand chose de bien en fait. Tout d’abord, il existe toujours une complaisance malsaine à imposer au spectateur des scènes difficiles comme des mauvais traitements infligés à un pauvre gosse qui, au moins au départ, émet une forte envie de repartir chez ses parents adoptifs. Dans ce début, Asia Argento qui en plus de la réalisation s’est attribuée le rôle de Sarah s’en donne à cœur joie dans la provocation et la vulgarité. Sa composition de putain et de mauvaise mère est convaincante, mais au final donne plutôt le désir de quitter la salle pour mettre fin à une complicité voyeuriste. Rien ne s’arrange vraiment lorsque Jeremiah est récupéré par une soi-disant grand-mère - Ornella Muti, sans doute une autre copine… Celle-ci le conduit dans un vaste manoir où on va se charger de lui inculquer une rigoureuse éducation religieuse. S’ensuit la dénonciation devenue routinière et vaine du rapport dangereux et maniaque que l’Amérique entretient avec la religion chrétienne à grands renforts de chants de psaumes et de lectures de la Bible. Nous sombrons dans le grand-guignol, le film en devient presque ridicule, en tout cas très risible.

Trois ans plus tard, Sarah enlève son garçon en pleine séance de prédication dans la rue. Parce qu’il a grandi et que sa relation avec sa génitrice déjantée s’est développée et complexifiée, la troisième partie porte plus d’émotions et d’épaisseur. Même si le quotidien est encore ponctué de passes sordides avec des routiers peu conciliants, même si la clochardisation guette la mère et le fils, on commence à mieux ressentir le lien épidermique qui les relie dans une relation d’attraction et de répulsion compliquée.

 

    Il est faux d’établir une parenté entre Tarnation et Le livre de Jérémie. En effet, là où Caouette inventait un procédé de cinéma et utilisait son travail à des fins ouvertement thérapeutiques en lui insufflant une âme, Asia Argento réalise un film qui privilégie avant tout l’esthétique du clip et l’esprit rock ou carrément punk et dans une moindre mesure la mise en scène. Rendons néanmoins hommage à la beauté des images et la photogénie sans cesse renouvelée de l’Amérique, même celle des ponts d’autoroutes et des motels miteux. Ajoutons une mention spéciale aux trois jeunes acteurs qui interprètent successivement Jérémiah, ils sont époustouflants.

Cependant, en oubliant d’apporter un point de vue, en n’épaississant que tardivement ses personnages, la réalisatrice ne parvient pas à transcrire sur l’écran la fascination exercée par le jeune écrivain bousillé et son roman. N’attribuons donc pas à la nouvelle égérie du moment une place trop importante qui friserait le mauvais goût au mieux, l’usurpation au pire. Pas inintéressant, mais pas renversant non plus.

 

Patrick Braganti

 

Film Américain et britannique – 1 h 32 – Sortie le 19 Janvier 2005

Avec Asia Argento, Jimmy Bennett, Cole Sprouse, Peter Fonda, Ornella Muti, Michael Pitt, Jeremy Renner, Marilyn Manson, Winona Ryder...

 

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