cinéma

Le Pont des arts de Eugène Green  1/2

 

 

    Le plus réussi dans le troisième film de Eugène Green, cinéaste passé par la peinture et le théâtre, c’est son titre qui en résume bien le sujet et la symbolique attachée.

 

    Le pont permet de relier entre eux Sarah (Natacha Régnier lumineuse et diaphane) jeune cantatrice et Pascal (Adrien Michaux en digne successeur de Jean-Pierre Léaud) étudiant sans repères ni avenir. Une forme de passerelle entre deux êtres supposés se rencontrer et vivre une relation amoureuse qui n’existera que dans l’abstraction et le rêve. Cette rencontre est rendue impossible par le suicide de Sarah, détruite par la méchanceté de son professeur. Sauvé et métamorphosé par la voie de Sarah, Pascal parvient à trouver la sienne.

Les arts, c’est le sujet principal du film proposé en forme de réflexion sur sa nécessité, sa cruauté intrinsèque et l’état sous-jacent de solitude dans lequel chaque artiste est censé plonger.

On serait tenté de croire que de telles perspectives puissent engendrer un film captivant et remue-méninges. Hélas, cent fois hélas, il n’en est rien.

 

    En effet, il convient d’abord de se familiariser avec la forme du film. Ici sont échangés des dialogues très littéraires, toujours récités, avec un respect scrupuleux et grotesque des liaisons. De plus, les acteurs ont la fâcheuse manie de s’adresser directement au spectateur. Procédé déjà employé par le passé qu’il est toujours difficile d’intégrer. Malgré quelques touches de vocabulaire qui tentent de situer le film – se déroulant en 1980 en gros -, on a plus l’impression de se retrouver deux siècles plus tôt à la grande époque des Lumières, des précieuses ridicules et du mouvement baroque.

Car précieux et maniéré à souhait, le film l’est incontestablement. Dans les beaux arrondissements parisiens et leurs grands appartements, nous côtoyons un petit monde prétentieux et pitoyable d’artistes, au premier rang duquelon trouve l’Innommable et Jean-Astolphe Méréville. Dans ces deux rôles de répétiteur capricieux et de monteur de spectacles, Podalydès et Gourmet sont une fois encore irréprochables. Là n’est pas le problème, mais quel besoin de les transformer en deux pauvres folles tordues entourées d’une cour de jeunes éphèbes prêts à se pâmer et accepter toutes les goujateries ? Pour le coup, cette charge du milieu de la musique lyrique réalisée sans finesse ni subtilité sent à cent lieues le règlement de comptes. On sait que la carrière théâtrale de Green a connu quelques vicissitudes.

On sourit bien sûr en regardant Le Pont des arts, mais l’origine de ces rictus a plus à voir avec le grand-guignolesque et le ridicule qu’avec la volonté du réalisateur. Heureusement que la musique de Monteverdi si envoûtante procure au moins quelque plaisir sans quoi il faudrait conclure à une énorme vanité. Dont, encore une fois, le cinéma français dit d’auteur n’arrive pas à se départir. Un cinéma du sixième arrondissement pétri de références et de tics vite insupportables qui fait la joie des critiques aveuglés.

 

    Green n’hésite pas à se trouver une filiation avec Bresson dans « la recherche de la vérité intérieure de l’être, atteinte grâce à la complicité active avec ses acteurs professionnels ». Autant de prétention et d’ambition affichées et absolument pas tenues est bien symptomatique d’un certain état du cinéma français.

Lors d’une représentation de no, Green filme la réception du spectacle sur chaque visage du public constitué de la fine fleur des metteurs en scène et comédiens actuels. Seule belle idée du film, qui effectivement en dit beaucoup sur la place de l’art dans la vie et notre perception forcément personnelle. Il n’est pas certain qu’on puisse lire sur la physionomie des spectateurs du Pont des arts la même concentration heureuse ou le même plaisir ressenti.

 

Patrick Braganti

 

Français – 2h 06 – Sortie le 10 Novembre 2004

Avec Natacha Régnier, Denis Podalydès, Adrien Michaux

 

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