cinéma

Les clefs de la maison de Gianni Amelio   1/2

 

 

    Dans la filmographie déjà bien fournie mais étonnamment mal connue de Gianni Amelio réalisateur italien diplômé en philosophie, on trouvait jusqu’à présent deux joyaux : Les enfants volés en 1992 sur le voyage d’un carabinier raccompagnant en Sicile un frère et une sœur retirés à leur mère, puis Lamerica en 1994 sur les tribulations d’un jeune magouilleur parti chercher fortune en Albanie, découvrant au passage l’organisation des trafics de clandestins.

Le voyage comme déplacement dans un contexte nouveau et parfois hostile, ainsi que la confrontation des hommes à la révélation du malheur et de la souffrance et l’obligation qui s’ensuit à s’y habituer et s’y adapter dominent l’œuvre de Gianni Amelio.

 

    Son dernier film en est une parfaite illustration : un père, Gianni, (Kim Rossi Stuart, tout en intériorités) rencontre pour la première fois Paolo (Andréa Rossi), son fils âgé de quinze ans, handicapé, qu’il doit conduire à Berlin pour une session annuelle de soins et de rééducation. Pour ce jeune père dont on apprendra qu’il n’a pas supporté la mort de sa compagne lors de l’accouchement et a donc confié l’enfant à son oncle et sa tante, l’apprentissage est double : celui de la découverte d’un fils et celui de l’acceptation de la différence et du handicap de celui-ci.

L’univers hospitalier berlinois est un théâtre étrange dans lequel le père peine à trouver ses marques, perturbé par l’obstacle d’une langue étrangère et les méthodes de soin prodiguées par une doctoresse persévérante et sévère. Gianni lie connaissance avec Nicole, (Charlotte Rampling digne et déchirante), une mère dévouée depuis plus de vingt années à sa fille Nadine, handicapée. Nicole tour à tour proche et distante, compassionnelle et lucide aide Gianni dans ce long périple qui démarre vers « des heures de souffrance ».

 

    Ainsi racontée, cette histoire a tout pour faire fuir, semblant une nouvelle promesse de déluge de bons sentiments. Ce serait faire peu de cas de la sensibilité et du sens de la nuance du réalisateur. Ce film met parfois mal à l’aise (et pas seulement parce que le regard porté sur des enfants handicapés est rarement dénué de misérabilisme mêlé à la gêne honteuse, d’ailleurs initialement ressentie par Gianni). L’anonymat des endroits traversés : hôpital, hôtel ou gare ne contribue pas à rendre directement aimable Les clefs de la maison. On y voit souvent des trains circuler, comme si les personnages étaient en transit ou en partance, ce qui procure aussi une sensation de décalage ou d’irréalité.

Les images dans les tons froids ne nous épargnent rien des souffrances quotidiennes de Paolo, lucide et peu désireux d’accepter la pitié des autres, à commencer par celle de cet homme maladroit qui se prétend son père devant lequel il n’est pas peu fier d’exhiber Les clefs de [sa] maison comme signe d’autonomie.

Gianni dont la démarche d’accepter s’annonce difficile et parsemée de désillusions décide de soustraire son fils des griffes disciplinaires de l’hôpital et lui offre un voyage en Norvège sous le prétexte d’aller y retrouver une correspondante de classe. Dans des paysages désertiques, le père et le fils en un huis clos constitué par l’habitacle d’une voiture s’affrontent et participent au basculement des rôles. Le père soudain désemparé éclate en sanglots suscitant la consolation fragile et émouvante de son fils.

 

    En choisissant l’économie des moyens et la distance pudique et digne, Gianni Amelio a su trouver le ton juste, qui confère à son film une force et une profondeur considérables. Le handicap montré sans pathos mais aussi sans édulcoration est traité avec intelligence et respect rendant impossibles toute recherche de performances et lourdeurs signifiantes.

Une réussite incontestable.

 

Patrick Braganti

 

Italien – 1 h 45 – Sortie le 15 Septembre 2004

Avec Kim Rossi Stuart, Charlotte Rampling, Andrea Rossi