cinéma

Les temps qui changent de André Téchiné        1/2 

 

 

    Oublie t-on jamais son premier amour ? Comment fait-on ensuite pour vivre les suivants, accomplir sa vie, subir ses aléas et se débrouiller avec le temps qui passe, les temps qui changent ? Qui un jour vous font vous contempler dans un miroir un corps alourdi, moins aimé. Ce sont en substance les questions auxquelles le dernier film de Téchiné tente d’apporter, sinon une réponse, du moins son propre éclairage. Un thème récurrent qui traverse toute l’œuvre d’un cinéaste tourmenté par la difficile communication des êtres humains.

 

    Ce film est inscrit sous le signe de doubles retrouvailles. D’abord avec la ville de Tanger qui avait déjà servi de cadre à Loin en 2001. On connaît l’attirance du cinéaste pour la ville marocaine, ville de transit avant le départ pour l’Europe pleine de promesses, ville de trafics et de clandestins, ce que le film suggère en quelques ponctuations furtives mais bien réelles. Ensuite une nouvelle collaboration avec Catherine Deneuve, qui n’est jamais aussi bonne que sous sa direction. Voici donc un cinquième partenariat après Hôtel des Amériques, Le lieu du crime, Les Voleurs et Ma saison préférée.

 

    Cécile (Deneuve) est une femme active, terriblement pragmatique et énergique dont la vie à Tanger se répartit entre son boulot d’animatrice radio auquel elle tient et sa petite famille soudain réunie par le retour de Sami son fils, accompagné de Nadia et de son enfant, une amie avec qui il partage un appartement à Paris. En parallèle arrive à Tanger Antoine (Gérard Depardieu dont la sobriété et la souffrance intériorisée font ici merveille), pour y superviser le chantier d’un énorme bâtiment, mais aussi – véritable motif - pour y retrouver et reconquérir Cécile qui fut son premier amour il y a plus de trente ans. Mais Cécile a fait table rase de son passé, a  vécu quelques années avec un psychiatre puis s’est installé avec Natan (Gilbert Melki), médecin un rien cynique en voie d’alcoolisation. L’insistance grandissante d’Antoine ne lui plaît pas plus que cela.

 

    Nous sommes ici dans le domaine de l’inversion des rôles, de la gémellité et de l’équivoque, tous des sujets chers au cinéaste. Le caractère trempé et volontariste de Cécile à l’indépendance forcenée est typiquement masculin. En revanche Antoine en amoureux qui s’est nourri de l’absence et n’a pu se résoudre à l’oubli affiche une sensibilité très féminine. Cette idée-là est aussi reprise dans la vie de Sami (Malik Zidi dont la gestuelle et l’intonation rappellent beaucoup Gaël Morel) : en apparence liée à Nadia, il n’en rejoint pas moins Bilal un jeune gardien de villa pour une liaison plus charnelle qu’amoureuse. Enfin il y a le personnage de Nadia (Lubna Azabal, parfaite dans un double rôle) venue retrouver sa sœur jumelle Aïcha : les deux sœurs tellement différentes, opposées comme peuvent l’être la modernité et la tradition ne se retrouvent pas, laissant Nadia dans un état dépressif et destructeur, confortant Aïcha dans sa rigidité.

 

    Rien n’est simple, les certitudes de chacun pouvant toujours s’ébranler. Les temps qui changent est bel et bien le film de l’effondrement, au propre comme au figuré. Ce qui finira par provoquer pas mal de changements. Donc de mouvements, ce qui est la marque évidente d’un film en perpétuelle agitation. Mais comment pourrait-il en être autrement dans des vies bousculées et tumultueuses ? Dès lors, le filmage caméra à l’épaule, le tressautement de l’image sont au service du scénario et non pas un artifice de filmage.

 

    Dans la violence des sentiments, dans l’omniprésence des éléments naturels : eau, vent, pluie, arbres, forêts, on repense bien sûr à deux des meilleurs films de Téchiné : Le lieu du crime (unes des meilleures compositions de Deneuve) et Les roseaux sauvages. 

Souvent noir et sceptique sur la nature humaine, Téchiné offre, tout de même, une échappatoire à ses personnages, voulant encore croire que tout effondrement précède toute reconstruction. Si les temps changent, le cœur et les sentiments peuvent durer. Merci au réalisateur de nous le prouver d’aussi belle manière.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 30 – Sortie le 15 Décembre 2004

Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Gilbert Melki...

 

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