cinéma

Libero de Kim Rossi Stuart

[4.0]

 

 

Jusqu’à présent, Kim Rossi Stuart, dont la ressemblance avec son aîné Nanni Moretti frappe d’emblée malgré la différence d’âge et un physique sans doute plus longiligne, avait fait l’acteur, et plutôt bien, chez Michelangelo Antonioni, Gianni Amelio et plus récemment Michele Placido. Des maîtres, des repères auprès de qui le jeune acteur présenté comme le plus talentueux de sa génération en Italie a beaucoup appris et a peut-être puisé l’envie de passer de l’autre côté de la caméra.

 

Libero met en scène une famille décomposée, au parcours chaotique dont la chronique s’articule autour de Tommi, le fils cadet. Dès la première scène où sa sœur Viola le réveille en lui versant un verre d’eau sur l’oreille, relayée par le père Renato qui lui crie dessus sans ménagement et sans réelle tendresse, on est envahis par un sentiment de malaise et de tension qui ne nous quittera plus. A voir quelques instants après le père repasser les affaires de ses enfants en tee-shirt fesses à l’air et expédier à l’école son fils pas lavé et le ventre vide, on se dit qu’assurément la mère manque dans ce clan familial. A sa réapparition inopinée et peu appréciée par Renato et par Tommi, on comprendra que Stefania est une femme fragile, privée d’équilibre, immature, restée une enfant qui n’aurait jamais grandi, prenant régulièrement la tangente pour des escapades sentimentales et sexuelles. Sa présence en pointillés durant laquelle elle exprime de manière maladroite et puérile son amour à ses deux enfants et à son mari recrée un ciment fragile et éphémère autour d’eux. Ce n’est pas un manque d’amour, mais un trop-plein mal exprimé et encombrant, qui qualifie le mieux les rapports entre Tommi et les siens.

 

A onze ans, Tommi est un enfant d’une grande sensibilité, partagé entre les jeux de l’enfance avec ses copains de l’école et sa confrontation plus ou moins imposée au monde des adultes. L’instabilité et l’absence de Stefania ne sont en rien contrebalancés par la présence de Renato, père caractériel et difficile, pouvant sombrer dans des excès de rage et de colère face aux désillusions qu’il connaît dans son métier de caméraman freelance et aux faiblesses supposées de ses enfants. La cellule familiale n’est pas ici un cocon accueillant et protecteur, mais un lieu où les enfants sont responsabilisés malgré eux, associés comme témoins muets et conciliants aux difficultés relationnelles et comportementales de leurs parents. Malgré sa maturité et sa capacité à organiser sa vie pour se protéger des sautes d’humeur de Renato, qui épargne davantage Viola pourtant moins mature et plus crédule, titillée par une sexualité naissante, Tommi est aussi un garçon introverti, qui a déjà commencé à se construire une carapace. C’est sur le toit de son immeuble où il se livre à des acrobaties périlleuses, tutoyant avec inconscience le vide symbolique de sa jeune existence, qu’il trouve, solitaire et intrépide, refuge.

 

A partir d’une telle situation, la tentation était grande de réaliser un film pétri de bons sentiments cherchant coûte que coûte à nous émouvoir. S’il n’évite pas quelques faux pas, force est de reconnaître à Libero son réalisme et sa volonté à décrire sans pathos la lutte journalière d’une famille pour la survie de sa structure passablement ébranlée. Ainsi, Libero opère t-il une jonction avec le cinéma autochtone et néo-réaliste de jadis. Le film est construit par fragments comme autant de moments qui composent l’existence de Tommi : chez lui, à l’école et à la piscine où il s’entraîne sans grand plaisir des heures durant pour tenter de devenir le champion idéalisé par son père.

 

Globalement dégagé de toute sentimentalité, Libero se révèle une première œuvre touchante et juste, visant à saisir l’énigme d’une relation entre parents déboussolés et enfants mûris trop tôt dans une Italie en proie à la crise et au renversement des valeurs. Le visage grave et le plus souvent triste de Tommi reste longtemps en mémoire grâce à l’interprétation de Alessandro Morace, mais également à la pudeur et la tendresse de Kim Rossi Stuart, qui a parfaitement réussi à se mettre à la hauteur de son personnage et à saisir avec justesse ses émois au moment unique où se posent les bases de la vie avec parfois une conscience douloureuse. Une belle surprise en conclusion…

 

Patrick Braganti

Comédie dramatique italienne – 1 h 48 – Sortie le 8 Novembre 2006

Avec Alessandro Morace, Marta Nobili, Kim Rossi Stuart

 

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