cinéma

L'ivresse du pouvoir de Claude Chabrol

[5.0]

 

 

Il n’est pas du tout certain que le dernier Chabrol rehausse l’image de marque de la justice et de son personnage emblématique, le juge d’instruction, actuellement écornée par les événements que l’on sait. Personnage de pouvoir, dont « on dit qu’il est le plus puissant de France » comme l’autoproclame Jeanne Charmant-Killman, elle-même juge à l’extravagant patronyme qui réussit la parfaite synthèse entre sa beauté et son âme de tueuse.

 

L’ambitieuse magistrat est en charge d’une complexe affaire de détournements de fonds et de juteuses commissions impliquant un important groupe industriel à la tête, présidé par Michel Humeau. Dans cet imbroglio qui entrechoque les milieux financiers et politiques de haute volée se croisent chefs d’entreprises et de cabinets. Des hommes de pouvoir amateurs de gros cigares et d’armagnacs raffinés, pas du tout disposés à se laisser importuner par une juge surnommée « la piranha » par ses pairs et ses victimes.

Malgré ses liens évidents avec l’affaire Elf (le sexe du magistrat, les soucis eczémateux de Humeau, sa maîtresse onéreuse, les ramifications africaines), Chabrol n’ambitionne nullement d’en reconstituer la genèse et le développement. A travers une illustration libre de cette arachnéenne situation, le prolifique cinéaste préfère interroger les ravages et les limites du pouvoir.

JCK est parfaitement consciente du sien qu’elle exerce sans vergogne auprès de ceux qu’elle interroge : interdiction de fumer, perquisitions perfides, amalgame entre vie publique et vie privée. A ce petit jeu, JCK est passée orfèvre, jouant de ses sourires, de la douceur de sa voix et de ses longs regards fixes.

 

Au fur et à mesure que la juge tisse sa toile dans laquelle elle emprisonne ses proies, sa propre vie privée prend l’eau : dans son grand appartement, son mari dépressif et effacé erre comme une âme en peine. Seul le neveu de celui-ci Félix apporte sa jeunesse et son esprit frondeur. Il entretient avec sa tante une relation proche et ambiguë, bien que son propre parcours soit diamétralement opposé à celui du magistrat.

Félix, dilettante et sans ambition affichée, renvoie à JCK son inaltérable énergie et sa combativité inentamable. Derrière cette activité fébrile rôde la vanité, ce dont JCK finira par se rendre compte, réalisant qu’elle possède le pouvoir qu’on veut bien lui donner et choisissant au final par une formule lapidaire et définitive de prendre une certaine distance avec son métier sacerdoce. Ce qui au passage dynamite les intentions intègres et bien-pensantes de la juge, dont le moteur reste bien sa propre carrière.

 

De l’autre côté, le constat n’est guère plus réjouissant : là aussi c’est le règne des tueurs et des magouilleurs. Alors que Humeau l’ancien président est lâché par ses condisciples, le nouveau Sibaud (le choix de tous les noms est ici un régal, il y a même un avocat nommé Parlebas) entreprend de séduire la juge, allant jusqu’à la faire vaciller sur ses principes professionnels.

Au mieux de sa forme qu’il recouvre après deux films mineurs, le fringant Chabrol se livre à un véritable jeu de massacre duquel personne ne se relève vraiment, si ce n’est Félix, le seul qui ici n’ait rien à prouver. L’ivresse du pouvoir, qu’il ne faut pas limiter à sa simplicité évidente et à son esthétique proche du téléfilm, est contagieuse grâce à ses dialogues et le talent de ses comédiens. Inutile de redire tout le bien que l’on pense de Huppert, alors retenons par exemple le numéro hilarant de Balmer.

Optant davantage pour le traitement comportementaliste au détriment du psychologique, la septième collaboration entre Chabrol et Huppert fait des étincelles. Jouissif en diable, méchant et cinglant, L’ivresse du pouvoir est un petit bijou d’impertinence.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 50 – Sortie le 22 Février 2006

Avec Isabelle Huppert, François Berléand, Robin Renucci, Patrick Bruel

 

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