cinéma

Locataires de Kim Ki-duk

[3.5]

 

 

    Dans une ville, probablement Séoul, un jeune homme Tae-suk sillonne les rues chevauché sur une grosse moto et dépose des prospectus publicitaires aux portes des maisons. On pense d’abord qu’il démarche pour un marchand de pizzas à domicile, mais il n’en est rien. Ces publicités servent d’indices à Tae-suk sur l’occupation des lieux. Sans domicile fixe et nomade moderne, il s’introduit dans les endroits momentanément désertés, non pour les cambrioler, juste pour y manger, dormir et laver ses petites affaires. Tae-suk est un garçon doux et calme, il a suivi des études supérieures et se révèle un réparateur hors pair, se faisant un devoir de remettre sur pied tous les appareils défectueux qu’il croise : pendule, pèse-personne, chaîne hi-fi. Lors d’une incursion dans la maison d’un riche bourgeois, il découvre Sun-houa, jeune femme mutique maltraitée par son époux macho. Une tendre complicité naît entre les deux jeunes gens et Tae-suk enlève Sun-houa. Ils continuent ensemble à vivre selon le mode instauré par Tae-suk mais la découverte d’un vieil homme mort dans un appartement squatté provoque l’arrivée de la police et l’emprisonnement du jeune homme. 

    Ainsi raconté, Locataires paraît être une belle histoire d’amour avec son lot d’épreuves et de rebondissements. Ce serait aller un peu vite en besogne et faire abstraction des caractéristiques propres au film. Dont la plus étonnante est l’absence quasi totale de dialogues, principalement entre Tae-suk et Sun-houa qui remplacent avantageusement les paroles par le langage des corps et des yeux. Les voix proviennent des répondeurs interrogés, des télévisions allumées et d’une chanson de Natacha Atlas maintes fois entendue. On pénètre avec plaisir et sans gêne dans cette ambiance silencieuse et ouatée, subjugués aussi par la beauté lisse et l’aura charnelle des deux amoureux.
Hélas, cette douceur vole en éclats lorsque Tae-suk subit interrogatoire et incarcération. Locataires sombre alors dans une violence complaisante et dans la répétition vite ennuyeuse d’un motif comique un peu vain : Tae-suk s’amuse à se dissimuler dans sa cellule et provoque ainsi la colère de son geôlier tout en continuant à afficher un sourire mystérieux et un tantinet agaçant.
Le charme revient quand Sun-houa dans l’attente de la sortie de prison de son amoureux erre telle un fantôme dans les endroits auparavant visités. Locataires devient onirique et poétique et nous emmène aux frontières du réel et de l’imaginaire, pour peu bien sûr d’accepter de se laisser (trans)porter.

    Locataires confirme que le prolifique et débrouillard Kim Ki-duk est bel et bien un cinéaste à part entière, possédant un sens inné du cadrage, capable de tourner avec de très faibles moyens. Certaines scènes de Locataires ont été filmées dans son propre appartement et il a doublé lui-même les scènes de moto.
Epuré et gracieux, maîtrisé et cohérent, Locataires peut certes décontenancer. Il peut aussi être vu comme un petit bijou, comme un hommage à l’amour sous fond de réquisitoire implacable de l’époque actuelle.

Patrick Braganti

Film sud-coréen – 1 h 30 – Sortie 13 Avril 2005
Avec Lee Seung-yeon, Jae Hee, Kwon Hyuk-ho

 

Le film a reçu le Lion d’argent (prix du meilleur réalisateur) au Festival de Venise en 2004. 

 

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