cinéma

Les Lumières du faubourg de Ari Kaurismaki

[3.0]

 

 

Avec Les Lumières du faubourg, Ari Kaurismaki clôt la trilogie dite « des perdants ». Elle commença en 1996 avec Au loin s’en vont les nuages, dont le thème était le chômage et se poursuivit en 2002 avec L’Homme sans passé, histoire d’un homme amnésique devant refaire sa vie sous fond de pénurie de logement. Les Lumières du faubourg n’a rien de plus gai dans sa trame : le film met en scène Koistinen, un homme de l’ombre, étranger au monde qui l’entoure parce que celui-ci véhicule des notions comme l’escroquerie et le vol en opposition aux valeurs démodées de Koistinen. Gardien de nuit, Koistinen rêve de fonder sa propre société pour se créer sa petite place au soleil, mais son projet tourne court. Manipulé par un bandit et sa belle et vénéneuse blonde, femme fatale qui le séduit pour mieux le rouler et obtenir de sa part des informations capitales, le mutique vigile échoue en prison.

 

Nous sommes ici en territoire connu et balisé. Nulle véritable surprise ne nous attend dans ce que nous voyons. Les codes de l’univers du cinéaste finlandais le plus connu sont tous au rendez-vous : des personnages losers, prolétaires et marginaux aux échanges minimaux supplées par la signification des regards et la mise en place de dispositifs narratifs (paroles d’une chanson utilisées en dialogue) ; la lumière immédiatement identifiable qui renvoie directement à la peinture d’Edward Hopper ; l’emploi d’une palette de couleurs chaudes comme le rouge, le jaune et le bleu en contraste avec l’ambiance glaciale de Helsinki ; les bars et restaurants comme éléments récurrents du décor où se produit un groupe de rock tout droit sorti de … Leningrad cow-boys go America.

 

Dans cette parabole épurée sur la solitude, Ari Kaurismaki semble arriver au bout de son inspiration, ne renouvelant en rien son cinéma. Il continue à dépeindre une Finlande peu sympathique, d’abord influencée par la civilisation russe et son épisode soviétique, puis convertie au capitalisme sauvage. Koistinen en est bien sûr la victime toute désignée et consentante, lui qui garde les grandes propriétés au cœur d’un quartier symbolisant le succès, alors qu’il occupe dans le même périmètre un logement modeste. Considéré par la femme manipulatrice qui s’est elle-même vendue pour de l’argent comme « un idiot romantique, fidèle comme un chien », Koistinen constitue le parfait souffre-douleur dans son isolement et son désir à en sortir, tout en se révélant libre d’opérer un choix moral, quitte à être conduit à sa propre perte.

Ari Kaurismaki finit néanmoins par tempérer l’ambiance dépressive et pessimiste de son propos en ouvrant une lucarne vers l’espoir, en la personne de Aila, patronne d’un pauvre grill à bord d’une camionnette plantée au milieu de nulle part.

 

Toujours maître dans la sécheresse des plans et la parcimonie de la mise en scène (pendant une bagarre entre Koistinen et trois caïds à l’extérieur d’un bar, la caméra reste fixée sur leur table et les trois bières), Ari Kaurismaki, si pessimiste qu’il proclame que le cinéma ne peut rien, n’en demeure pas moins ce metteur en scène pince-sans-rire et tendre humaniste, cultivant avec talent, mais hélas avec répétition, l’art du petit et du minuscule.

 

Patrick Braganti

 

Drame finlandais – 1 h 18 – Sortie le 25 Octobre 2006

Avec Janne Hyytiainen, Maria Jarvenhelmi, Maria Heiskanen