cinéma

Ma mère de Christophe Honoré       1/2

 

 

     Entouré d’une aura sulfureuse, le second film de Christophe Honoré est une adaptation à la fois libre et fidèle de l’œuvre éponyme de Georges Bataille, écrivain français hanté par l’érotisme et la pulsion de mort. Si l’action du livre se situe dans les bordels parisiens, le réalisateur choisit une version beaucoup plus moderne en la transposant aux Canaries. Une île volcanique et semi désertique, défigurée par les complexes touristiques où déferlent des milliers d’européens plus intéressés par les gigantesques opportunités offertes par le tourisme sexuel que par le charme – certes inexistant – de l’île. A cet instant, quelques chapitres de Plate-forme de Houellebecg reviennent à la mémoire.

 

    Pierre (Louis Garrel) y débarque pour rejoindre sa mère Hélène (Isabelle Huppert) dans une vaste maison dont l’intendance est assurée par un couple de domestiques. Très vite, on prend conscience de la relation fusionnelle qui les unit, au détriment du père curieusement délaissé et qui disparaît soudain dans un accident qui reste inexpliqué. Hélène se dévoile alors devant son fils sans réel chagrin comme « une salope, une chienne que tout le monde méprise » et entreprend son éducation sexuelle. Le film plonge alors dans une succession de scènes explicites à travers les endroits chauds de l’île. La mère consciente d’être allée un peu loin préfère la fuite, et laisse Pierre entre les mains expertes de Hansi (Emma de Caunes) pour parfaire l’éducation du jeune homme.

 

    Depuis le surestimé Collard et la cérébrale Breillat, nous sommes habitués, voire blasés, au filmage des corps, à leur enchevêtrement et leur mélange. La règle reste toujours la même : plus on en montre, plus le dégoût vient et avec lui l’ennui. Donc passons vite sur cet aspect inutilement exhibitionniste ou racoleur d’un film qui mérite beaucoup mieux qu’une approche voyeuriste. Parce que Honoré, artiste polymorphe qui passe allégrement de l’écriture à la réalisation, se révèle un véritable cinéaste, avec un regard et une capacité indéniable à mettre en scène. Son appropriation personnelle mais pas paralysante du livre de Bataille lui permet de réaliser un film très fort et infiniment audacieux, dans lequel viennent se télescoper la recherche du plaisir et le poids de la culpabilité, avec un arrière-fond de religion. Dans un endroit noyé de lumière et de soleil, Honoré choisit de filmer ses acteurs au plus près : beaucoup de plans rapprochés sur les visages ou des parties des corps. Parfois, Ma mère a presque un côté documentaire lorsque le réalisateur balade sa caméra entre tous ces touristes avides de sensations. Les zooms répétés sur les acteurs donnent aussi un aspect presque amateur.

 

    Si Louis Garrel apporte de la fraîcheur et de la spontanéité par un jeu décomplexé et parfois drôle, Isabelle Huppert, à qui il incombe de citer dans le texte Bataille, promène son intemporalité et son détachement avec un talent et un culot formidables. Décidément, ce petit sourire presque crispé et artificiel, cette façon de regarder les êtres et les choses avec distance et ironie n’appartiennent qu’à elle. Et il y a bien des points communs entre la Mika Muller de Merci pour le chocolat et Hélène.

La grande force du film est donc bien dans cette recherche vertigineuse et coupable du plaisir, forcément couplée à une pulsion de mort. Honoré nous entrebâille une porte derrière laquelle on entrevoit le chaos et le néant, seules portes possibles de salut. C’est donc totalement désespéré, mais subsiste pour qui veut bien aller au-delà de quelques scènes faciles une fascination noire et morbide. Pour cela, Ma mère est un film indispensable, auquel on pense longtemps après l’avoir vu.

 

Patrick

 

Français – 1 h 50 – Sortie le 19 Mai 2004