cinéma

Mar adentro de Alejandro Amenabar 

 

 

    Le nouvel enfant chéri du cinéma espagnol, qui vient de recevoir un déluge de Goya – équivalent ibérique de nos César -, en passe de détrôner l’inamovible de la Movida Pedro Almodovar n’a pas opté pour un sujet facile avec Mar Adentro. A plus d’un titre. Premièrement par le choix du personnage central : Ramon Sampedro tétraplégique cloué sur son lit depuis vingt-neuf ans suite à un fâcheux et inexpliqué accident. Une situation qui réduit à néant toute possibilité de mouvement et qui vient buter sur l’essence même du septième art : la mobilité des images, d’où entreprise cornélienne. Deuxièmement par la détermination inébranlable de cet homme à mourir. Comme il est dans l’impossibilité matérielle de mettre fin à ses jours lui-même, il devra solliciter une aide extérieure, ce qui revient à avoir recours à une pratique euthanasique, illégale aussi de l’autre côté des Pyrénées. L’épine dorsale de Mar Adentro est la préparation par une avocate bénévole d’un argumentaire juridique susceptible d’autoriser la mort de Ramon.

 

    Sujet infiniment casse-gueule parce que polémique, sur lequel chacun a son avis et pouvant être la porte ouverte à tous les excès démagogiques. Hélas, le réalisateur de Les Autres s’est engouffré dans cette porte-là et ne rate aucun des écueils inhérents à une telle histoire. Par exemple, Julia, l’avocate venue aider Ramon à monter son dossier est elle-même atteinte d’une grave maladie dégénérative qui lui fera perdre l’usage de ses jambes et rendra sa mémoire déficiente. En plus, elle tombe amoureuse de Ramon. C’est vrai que le bonhomme a du charme, un sourire désarmant et un humour cinglant. D’ailleurs Rosa, une jeune ouvrière mère de deux enfants qui l’a vu un soir à la télé, rapplique dans la foulée en quête d’une amitié rédemptrice. Tout cela montré avec force violons, dans une belle lumière ocre, avec une complaisance détestable. Par contraste, Amenabar a le bon goût de ne pas tremper la famille de Ramon - son vieux père, son frère aîné, sa belle-sœur et son neveu qui s’occupent de lui depuis son accident et forment un cordon d’amour et d’abnégation - dans cette guimauve sentimentale et sirupeuse. Ainsi le frère est-il un opposé farouche au suicide de Ramon et le neveu pas prêt à gober toutes les lubies de son oncle. De fait, ils constituent la partie la plus émouvante et plausible du film.

 

    Pas question ici de douter des intentions généreuses du cinéaste. L’ennui, c’est qu’il n’est pas transcendé un seul instant par cette histoire. Comme si celle-ci – et l’ironie est cruelle – l’avait paralysé dans son travail. En clair, Mar Adentro ne fonctionne tout simplement pas dans la mesure où l’envie – bien sûr légitime – de Ramon de ne plus vivre n’est ni palpable ni compréhensible pour le spectateur. Très vite, Amenabar donne l’impression de tourner en rond, de ne plus savoir quoi faire de son personnage. Ce qui l’amène à des artifices de mise en scène : Ramon sortant de sa gangue corporelle et s’envolant jusqu’au bord de la mer…pour y retrouver l’énamourée Julia. Pour le coup, cette manière de mouvoir un corps figé devient gênante et place le spectateur en voyeur forcément compassionnel. Amenabar s’avère incapable d’imagination.

Mar Adentro a pour unique ressort la sensiblerie et non la sensibilité. Evidemment, les séquences tire-larmes sont légion et il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne rien ressentir. On en veut néanmoins au cinéaste de sombrer dans cette facilité et cette accumulation de poncifs lénifiants.

 

    Au final, on se dit que l’on a vu un larmoyant manifeste pour l’euthanasie, aucunement une œuvre de cinéma. L’absence de regard dans un film qui nécessitait plus que jamais une implication personnelle nuit à l’intégrité même du propos. Pour un film qui emploie le terme dignité à satiété, il est regrettable qu’il en manque autant.

A l’issue d’une visite à Ramon, le fils de Rosa, peu impressionné, déclare à sa mère que « ce mec est bidon ». Aussi déplorable cela soit-il à avouer, on n’est pas loin de partager l’avis du gamin.

 

Patrick Braganti

 

Film espagnol – 2 h 05 – Sortie le 2 Février 2005

Avec Javier Bardem, Belen Rueda, Lola Duenas

 

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