cinéma

Marie-Antoinette de Sofia Coppola

[3.0]

 

 

Nul doute que Sofia Coppola, en l’espace de deux films, soit devenue une cinéaste à part entière, un auteur digne de ce nom, c’est-à-dire travaillé par une thématique que l’on retrouve dans chacune de ses productions. La fille du grand Francis est inspirée par l’adolescence féminine, la vie de jeunes filles dans des situations inhabituelles : tentative de suicide de l’une d’entre elles, incursion solitaire dans une civilisation étrange et anxiogène. Des situations qui ont été jusqu’à présent circonscrites à un espace clos, matérialisé par la chambre. Qu’elle soit celle des filles de la famille Lisbon (Virgin suicides) ou celle d’un hôtel japonais en plein centre de Tokyo (Lost in translation). Le passage de la chambre calfeutrée et protectrice à un immense château aux pièces surnuméraires et labyrinthiques a t-il réussi à Sofia Coppola, qui se propose aujourd’hui de nous livrer sa version toute personnelle de la jeunesse de Marie-Antoinette, de sa venue à quinze ans à Versailles pour sceller son destin au futur Louis XVI aux premiers éclats pré-révolutionnaires qui entraîneront la fuite des deux jeunes souverains ?

 

Il faut bien avouer que la réponse est en demi-teintes : Marie-Antoinette sans complètement décevoir – ne légitimant pas du coup les sifflets cannois – ne suscite pas non plus le ravissement escompté. Cette appréciation mitigée provient de l’ennui qui étreint assez rapidement le spectateur, et non pas des partis pris de la réalisatrice. Au même titre que Cecilia Lisbon ou Charlotte, Marie-Antoinette est une jeune fille en manque de repères, propulsée dans un territoire inconnu aux usages protocolaires inouïs et ridicules pour toute personne n’appartenant pas à la cour versaillaise. Dès lors, plus que la reconstitution historique ou la place de la Dauphine dans une perspective toute aussi historique, c’est son adaptation à sa nouvelle vie, l’apprentissage et l’apprivoisement d’un monde hostile et clos qui intéressent Sofia Coppola. Nul besoin alors que les protagonistes de son histoire s’expriment en français et rien de choquant à utiliser la musique punk et rock des années 1980.

L’anachronisme qui pourrait en découler et passer pour une lubie branchée établit au contraire un parallèle heureux et bien vu entre la cour du dix-huitième siècle, décadente et à bout de souffle et les années 80, superficielles et vaines, règnes de la frime et de l’esbroufe sans limites. Même combat finalement pour Marie-Antoinette, ses dépenses somptuaires et ses marottes d’enfant gâtée (toilettes, perruques, plantation des jardins, bals, Petit Trianon, ferme) et Fabrice Emaer, patron du Palace et grand manitou des nuits parisiennes. Dans les deux cas, on retrouve le même goût de la fête, des travestissements et des apparats délirants (coiffure toujours plus haute et alambiquée de la Dauphine) et la même licence question mœurs : tout le monde couchant avec tout le monde, gavé de pâtisseries, de drogues diverses. Le dernier point commun entre les deux époques est évidemment le caractère de privilège qui prévaut à ces situations. En 1780 comme deux siècles plus tard, le luxe et la frivolité ne concernent qu’une minorité et assister aux agapes, fussent-elles royales, en spectateur mis à l’écart, sinon frustré, ne peut donc que susciter désintérêt grandissant et ennui abyssal.

 

Passé le transfert entre les cour viennoise et versaillaise, mis en place les spectres crépusculaires et tragi-comiques d’un microcosme autarcique et poussiéreux, Marie-Antoinette se borgne rapidement à une succession de tableaux, certes réussis, mais surtout vains et vite oubliés. On ne reprochera pas à Sofia Coppola d’avoir su passer au tamis de sa propre personnalité et de ses références la vie à Versailles et le destin de pauvre petite fille riche de Marie-Antoinette. Les couleurs pastel et les images éthérées sont une nouvelle fois au rendez-vous. On peut néanmoins regretter que Sofia Coppola ne mette pas mieux à profit l’immense honneur qui lui a été fait de pouvoir placer ses caméras dans le château et les jardins de Versailles en mettant en scène davantage la fin d’une époque, alors que commence à gronder la colère populaire.

Et l’on se prend à ne voir en Marie-Antoinette que le beau jouet d’une autre petite fille privilégiée, enfant du sérail, prête à décliner sur tous les tons et avec tous les moyens ses préoccupations. Pourquoi pas, mais on a aussi le droit de trouver tout cela superficiel, pas très abouti. Du cinéma bien fait, plaisant et léger…comme les onctueux gâteaux dont se goinfrent Marie-Antoinette et ses courtisans. Faisons gaffe à l’indigestion.

  

Patrick Braganti

 

Film historique américain – 2 h 03 – Sortie le 24 Mai 2006

Avec Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Asia Argento