cinéma

Mémoire d'un saccage  de Fernando E. Solanas  

 

 

    L’Argentine est encore à l’honneur ce mois ci, avec ce documentaire percutant d’un Michael Moore latin, Fernando Solanas, qui nous retrace l’évolution récente de son pays dont les choix politico-économiques désastreux ont conduit la plupart des argentins à la ruine.
Le film est très bien construit, pédagogique, sans racolage, misérabilisme ou règlement de comptes déplacé, précis et informatif, et néanmoins émotionnellement fort (lors notamment des scènes du 20 décembre 2001, journée où le peuple a décidé de se réveiller, et de se révolter !). On constate ainsi que Carlos Menem (entre autres) est tout aussi pourri qu’un Georges W. Bush, ce qui choque d’autant qu’il se revendiquait de gauche pour pouvoir se faire élire. Deux mandats n’ont ainsi pas suffi pour annuler son cynisme et son sourire "Ultra-Bright", et les argentins ont visiblement mis du temps pour rejeter ce personnage qui a longtemps joui d’une forte popularité. Ce qui semble difficile à croire.

    La logique absurde du FMI et de l’ultra-libéralisme, couplés à un système politico-mafieux (spoliation des biens de l’Etat, corruption massive…), et sous le regard complice des organisations internationales, a conduit ce pays à la ruine en un temps record. Et Solanas le démontre très bien dans son film, avec de nombreux exemples explicatifs. On s’aperçoit également avec consternation que tout le monde est responsable, les USA et les autres pays occidentaux comme la France (cf par ex la responsabilité d’entreprises comme France Telecom…). Et on se dit que la logique de « dette honteuse » devrait vraiment prévaloir dans ce pays, comme dans tout le Tiers-Monde. Comme c'est d’ailleurs très bien démontré à un moment donné, il ne peut pas y avoir de "dette publique", puisque le-dit "public" (les argentins) n'ont en rien bénéficié de ces prêts bidons (aux taux scandaleux). Au contraire, il n’y a jamais eu autant de misère et de sous-développement (80% d'enfants sous-alimentés en 2004), ce système, qu’on peut sans exagération qualifier de "pourri", ayant aussi créé une nouvelle génération de jeunes et d’enfants, non répertoriés d’ailleurs dans les chiffres, et (sur)vivant tant bien que mal dans les décharges publiques.
Triste constat que nous livre là Solanas, même s’il y a une petite lueur d'espoir à la fin du documentaire... (les grandes entreprises argentines n’ont pas toutes été vendues, et surtout, les argentins, même s’ils y ont mis du temps, ont commencé à réagir...).
Ce qui redonne effectivement du baume au cœur, ce sont tous ces anonymes que le cinéaste a filmés, caméra à l’épaule, ceux qui se sont enfin révoltés, les retraités qui ont été volés de leurs économies, les chômeurs qui ont perdu tous leurs droits, les femmes et les « mères de la place de Mai » qui imposent par leur dignité et leur courage… tous ceux là à la vie brisée, à qui d’ailleurs Solanas a dédié son film : "Ce film est dédié à tous ceux qui résistent avec dignité et courage. Les chemins de la misère sont encore plus inacceptables lorsqu’ils sont prévisibles et qu’ils se passent en terre abondante..."

    

    On attend ainsi impatiemment la suite de ce documentaire, que prépare Solanas, et qui présenterait des portraits d’argentins anonymes qui se battent quotidiennement pour lutter contre cette misère et faire valoir la solidarité entre les habitants.
Il faut en tout cas absolument voir ce film militant, c’est aussi une manière de le soutenir, de faire vivre "la mémoire contre l’oubli", de dénoncer les pratiques du libéralisme et de la globalisation qui conduisent à ce type de génocide social, y compris dans des pays dits "démocratiques". C’est aussi une leçon d’espoir, parce qu’il montre que malgré tout, le peuple peut se manifester, et résister. Et puis, comme le faisait remarquer un internaute, "voir ce documentaire est aussi une question d’hygiène intellectuelle".

 

Cathie Maillot

 

Argentin (co-production franco-suisse) – 2h – Sortie le 29 septembre 2004