cinéma

Meurtrières de Patrick Grandperret

[5.0]

 

 

Maurice Pialat avait eu longtemps en projet l’adaptation au cinéma d’un fait divers retentissant de 1974 au cours duquel deux jeunes femmes auto-stoppeuses avaient assassiné un automobiliste qui avait tenté d’abuser d’elles. Faute de trouver des comédiennes adéquates et pris par d’autres tournages, le réalisateur de A nos amours a laissé dormir dans un carton les coupures de presse, les minutes du procès et les premières ébauches d’un scénario. C’est aujourd’hui à la femme du cinéaste, par ailleurs scénariste, que l’on doit la renaissance du projet et le choix du cinéaste Patrick Grandperret, qui avait été lui-même l’assistant de son mari.

 

Transposé à l’époque actuelle, Meurtrières met en scène la rencontre de deux filles paumées et fragiles, à l’opposé l’une de l’autre qui vont pourtant se trouver, se reconnaître dans une relation fusionnelle. Nina, la blonde renfrognée et introvertie, après être venue chercher de l’aide auprès d’une cousine, échoue au sein d’une famille d’hôteliers, courtisée par la sœur et le frère. Lizzy, la brune survoltée et énergique, à la suite d’une tentative de suicide, est internée à l’asile de fous local où Nina est elle-même transférée à cause d’une violente crise d’angoisse doublée de maux d’estomac. Les filles font le mur un samedi soir pour aller faire la fête qui se transforme en cavale entre La Rochelle et l’île de Ré, au gré de rencontres sordides qui les mènent à la frontière de la délinquance et de l’irréparable.

Le retour derrière la caméra de Patrick Grandperret absent depuis 1996 est une réussite qui produit un film puissant et énergique, flirtant avec l’épure, rejetant toute tentative de démonstration dans la lignée directe de l’œuvre de Pialat. Pour filmer cette galère, où l’étau autour des deux fugueuses se resserre, le réalisateur installe des ambiances différentes : la famille bourgeoise qui possède l’hôtel et pour laquelle Nina est une curiosité, un objet convoité à posséder ; les fous de l’asile qui entourent les filles de leur innocence et de leur franchise sans tabous ; les bars et le concert de rock ; la fête foraine sur l’île.

 

Sans cesse rejetées ou mal comprises, forcément en marge par le manque de ressources, les deux copines reflètent cette difficulté de plus en plus fréquente à trouver sa place au sein d’une société égoïste, repliée sur ses privilèges et ce qu’elle pense être son bon droit. Nina et Lizzy qui ne recherchent pas la violence pour le plaisir se voient confrontées à l’hostilité, au machisme de leur entourage. Sur leur route, elles croisent le plus souvent la concupiscence provoquée par leur attitude certes peu farouche, mais aussi la petitesse hypocrite : la femme qui vient d’adopter une petite asiatique en parle comme une chose, un investissement ; la responsable du golf qui chasse Nina à partir du moment où celle-ci ne répond pas à ses avances.

 

Quelques retours en arrière sous forme de scènes presque subliminales permettent de construire le passé des deux filles, non dans le but de justifier leur situation actuelle, mais plutôt pour épaissir les personnages. On est néanmoins plus passionnés lorsque Nina et Lizzy sont ensemble, dans ce cheminement désespéré et sans issue, d’autant plus que Meurtrières vaut aussi pour le jeu en harmonie complémentaire des deux comédiennes : Céline Sallette, la blonde enfantine, légèrement absente et retirée du monde et Hande Kodja, la brune à l’énergie débordante et jamais canalisée.

Sec et fulgurant, Meurtrières est un coup de poing salvateur dans les tripes de spectateurs enfin intelligemment ébranlés.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 37 – Sortie le 28 Juin 2006

Avec Hande Kodja, Céline Sallette, Gianni Giardinelli