cinéma

Mon trésor  de Keren Yedaya   

 

 

    Regard d’une femme sur la vie de deux autres femmes, Mon Trésor – inspiré de faits réels - est au moins porteur d’une bonne nouvelle. Il est possible en 2004 de situer une histoire à Tel-Aviv inscrite sur un cas particulier sans que le conflit du Moyen-Orient n’en soit la trame capitale ou la toile de fond incontournable. Ainsi cette relation tourmentée entre une mère et sa fille pourrait prendre place n’importe où. Et c’est tant mieux que ce cinéma-là puisse exister aussi en Israël.

 

    La pulpeuse et infantile Ruthie est une mère aimante mais bien peu responsable vis-à-vis de sa fille adolescente si joliment prénommée Or. Celle-ci récupère sa mère au sortir de l’hôpital, décidée à la sortir de sa déshérence et de sa nonchalance épidermiques. Vivant depuis de nombreuses années de ses charmes, soumise à certains de ses clients, Ruthie éprouve les pires difficultés à mener une existence rangée et conforme, régie par un travail régulier de femme de ménage et l’éloignement d’amours sordides et tarifées. Face à Ruthie immature et dépressive, Or, du haut de ses dix-sept ans volontaires et énergiques, assure l’assistance sociale et la fourniture des ressources nécessaires. En dehors du lycée suivi de façon sporadique, Or multiplie les petits boulots : plonge dans un boui-boui, ramassage de bouteilles consignées, récurage d’escaliers. Ce qui lui laisse peu de temps pour des activités plus en phase avec son adolescence, entre autres son béguin avec Ido un camarade d’école.

 

    L’ambition de cette jeune scénariste et réalisatrice est « de montrer le regard que porte la société sur des êtres transparents ». Comme le sont Ruthie et Or, deux femmes invisibles dont la société refuse de prendre en charge les malaises ou choisit d’en instrumentaliser les corps devenus récompenses de soldats.

A l’opposé d’un cinéma trop bien éclairé, léché, en un mot trop beau, Mon Trésor est une succession de longs plans-séquences influencés par le travail de photographes comme William Klein. La composition du cadre passe par de longs plans fixes dans lesquels les personnages entrent et sortent, restant régulièrement à la lisière du cadre, contraignant le spectateur à « faire un effort pour les trouver ». Au contraire, l’absence de gros plans installe une distance créant réalisme et maîtrise de la relation installée entre personnages et spectateurs.

 

    L’alternance de disputes violentes et de réconciliations larmoyantes conduit à la déchéance irréversible de Ruthie et l’incapacité tragique d’Or à l’aider, malgré les déclarations d’amour de la première (le Trésor en question, c’est bien sûr Or). Dans un rapport en totale inversion, cependant répandu dans le milieu de la prostitution que Keren Yedaya connaît bien grâce à de multiples rencontres, la mère et la fille dérivent. L’amour d’Or pour Ruthie passe par le don de soi et l’abnégation jusqu’à une dernière scène dure et sans concessions, qui n’offre aucun espoir dans un regard noir et désespéré qui poursuit longtemps le spectateur.

La mise en scène sans fioritures, le jeu magnifique des deux actrices, la sensation d’objectivité proche du documentaire expliquent entre autres l’attribution méritée de la Caméra d’Or au dernier festival de Cannes et entrouvrent un avenir possible pour le cinéma israélien.

 

Patrick Braganti

 

Film Israélien – 1 h 40 – Sortie le 1er Décembre 2004

Avec Ronit Elkabetz, Dana Ivgy....