cinéma

Mon frère se marie de Jean-Stéphane Bron

[3.0]

 

 

En vue de son prochain mariage, Vinh souhaite rassembler sa famille. Jusque là, rien de bien original, hormis que Vinh a deux familles : la naturelle restée au Vietnam qui va débarquer pour l’heureuse circonstance et celle qui recueillit voici vingt ans le jeune homme, arrivé comme tant d’autres de ses compatriotes à bord des boat people qui s’échouaient sur les côtes de Malaisie. Pour sa mère biologique, la famille d’adoption de son fils exilé ne peut être qu’unie et catholique. Parfaite en quelque sorte. Ce qu’elle n’est malheureusement plus et ce qu’elle n’a jamais été. Pour ce qui est de la croyance, une photo du pape punaisée sur un mur fera facilement illusion. Pour réunir le clan disloqué et lui donner une apparence de profonde harmonie, ce sera une autre paire de manches, avec quiproquos, situations cocasses, engueulades et pleurs à la clef.

 

Voici donc l’enjeu de Mon frère se marie, premier long-métrage de fiction du documentariste Jean-Stéphane Bron, qui sous ses dehors de comédie décalée, recèle une véritable émotion qui gagne au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la cocasserie initiale. Cette famille au grand cœur évident et aux idées humanistes qui lui fit intégrer Vinh avec amour a sans doute connu comme tant d’autres l’usure du temps et de nombreuses difficultés, en provoquant l’éclatement et figeant les échanges entre ses membres. La belle maison occupée par le père est réinvestie et réaménagée par son ex-femme, son fils et sa fille pour y composer le tableau idyllique qui devrait ravir et rassurer les visiteurs vietnamiens, la mère et l’oncle de Vinh.

Situé en Suisse, pays par excellence de la neutralité, espèce de paradis terrestre idéalisé, Mon frère se marie a aussi valeur de fable : le regard de l’étranger posant la question de notre désir de croire en ce qu’on nous raconte, même si au fond nous ne sommes pas dupes de l’illusion. Jean-Stéphane Bron ne manque pas d’idées dans sa mise en scène : faire parler les membres dissociés de la famille, devant une caméra et un micro tenus par le fils, du passé et du mariage ; ne pas sous-titrer les dialogues en langue vietnamienne, prouvant que les regards et les gestes en disent souvent plus long et transcendent les barrières linguistiques.

 

Au passage, Mon frère se marie en dit long sur ce qu’est la maternité, comment Vinh se trouve partagé entre ses deux mères qui elles-mêmes épient l’intimité que le jeune homme accorde à chacune d’elles. Il finira par traverser l’église avec les deux femmes à ses bras. 

La noce, fête hybride mêlant la tradition orientale aux usages occidentaux, réunion d’invités de dernière minute : malades de l’hôpital où exerce le fils, voisins… , sera le point d’orgue et le champ idéal, tension et alcools aidant, pour mettre à nu les rancoeurs et les frustrations.

Mon frère se marie ne sombre pas dans le pathos et ne propose au final qu’une pause, une respiration salutaires dont on ignore quelle en sera la suite. Et donc pas la grande réconciliation ni un trait soudain tiré sur les années écoulées. Servi par l’interprétation de ses comédiens – mais pourquoi, ne voit-on pas plus souvent sur nos écrans le formidable Jean-Luc Bideau ? – Mon frère se marie est une jolie chronique familiale, douce-amère, drôle et grave, légère et mélancolique.

 

Patrick Braganti

 

Comédie suisse – 1 h 35 – Sortie le 31 Janvier 2007

Avec Aurore Clément, Jean-Luc Bideau, Cyril Troley