cinéma

Munich de Steven Spielberg

[4.5]

 

 

Il faut replacer ce Munich, dans l’œuvre de Spielberg, à la suite immédiate de son autre grand film à portée historique, La Liste de Schindler, dont le dernier plan de cinéma pur (avant la procession sur la tombe de Schindler) pointait littéralement du doigt pour désigner la terre promise au peuple juif, sur laquelle en 1948 s’établirait l’Etat d’Israël. Exil d’un peuple massacré. Très vite, les premières hostilités entre Juifs et Palestiniens prennent des atours meurtriers – guerre des six jours, fondation de l’OLP, Septembre noir et la prise en otage d’un groupe d’athlètes israéliens lors des Jeux Olympiques de Munich (1972). C’est donc dans l’après-coup des premières violences israélo-arabes que le réalisateur américain choisit d’intervenir, au cœur de son effusion quasi-mondiale. La scène d’ouverture place la violence au centre du projet : à la suite du commando palestinien Septembre noir, nous pénétrons le village olympique par effraction, à la manière (brusque et de l’intérieur) des troupes américaines débarquant en Normandie - sans parallélisme cependant. Le projet est autre : à tous ceux qui lui tendent un pro-sémitisme univoque en guise de miroir, Spielberg répond de fait en égalisant les positions. Justesse ou vacuité de toutes ces causes. Ce point de vue, qui sera maintenu tout au long du film par le développement parallèle de l’action d’Avner et ses hommes (chargés de liquider les organisateurs de la prise d’otage de Munich) et celui, en flash back, de la prise d’otage tragique, relève d’un véritable parti pris de mise en scène, d’un pessimisme audacieux qui surprend dans l’objectif de la caméra spielbergienne.

 

Une évidence frappe d’emblée : la proximité des corps. Filmé ras des peaux, Munich prend souvent des allures documentaires (photographie granuleuse ultra solarisée), explicitement parfois - dans la reconstitution minutieuse de certains gestes du commando palestinien -,  spontanément souvent, dans son essoufflement surtout, comme arraché à la violence qui interdit toute approche par trop sophistiquée. De fait, Munich est sans doute le film le plus incarné de Steven Spielberg, au-delà de ses récentes productions souvent claudicantes à force de béquilles trop lourdes (contraintes du genre SF), qui au final se révélaient incapables de trancher dans un réel toujours mis à distance. De plain-pied cette fois-ci, à la suite d’Avner l’inexpérimenté, sabra bientôt père de famille, nous ne quitterons plus le ballet des corps morts ou blessés, traqueurs ou traqués, solitaires, colériques ou critiques. Ingénieuse idée, d’ailleurs, qu’Eric Bana, nouvelle gueule intuitive dans la famille Spielberg, tranchant singulièrement avec les masses brutes et uniformes que sont les deux Tom, Hanks et Cruise. De son apprentissage en direct, loin des bureaux où s’élaborent théories et règles d’or, l’Avner de Spielberg découvre l’artisanat bancal des activités terroristes, où la logique trop simple de sa propre activité secrète se heurte à celle d’une multitude d’autres groupes : « des nœuds de secrets » comme le signale son informateur français, avec le risque toujours possible de croiser la mort à chacun de ses carrefours. Sur le terrain, l’idéologie s’efface donc au profit d’une efficacité maximale. Ce qui, au préalable, faisait opposition (Palestiniens et Juifs par exemple) se réduit à un simple combat corps à corps, jeu vidéo grandeur nature, d’homme à homme. Les tentations idéologiques finissent toujours par se consumer dans la fumée de destins individuels sacrifiés.

 

Voilà le point crucial. Quand Israël lui demande de rentrer au pays, Avner choisit l’exil américain comme une réponse - par-delà le temps - au doigt tendu à la fin de Schindler. Aveu d’échec, pas tant d’un Etat solide comme le roc, que des perspectives d’épanouissement pacifique de l’individu. Voir cette scène magnifique de crise paranoïaque du guerrier, éventrant matelas, téléphone et téléviseur à l’affût d’une charge plastique, et contraint au bout du compte de chercher le sommeil au fond d’un placard. En 1982, Spielberg cachait dans ce même placard son E.T. pourchassé par les humains. Vingt-cinq ans plus tard, il est donc l’ultime refuge de l’homme traqué. Plus rien à attendre hors de la solitude, sinon dans le cocon familial, vestige de paix durable (vieille obsession spielbergienne). Tout salut passe une fois encore par l’exil. Sauf que cette fois - plan final sur les Twin Towers d’avant la chute – l’espoir n’est plus permis : la violence gagne toujours à la fin.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain (2005) – 2 H 40 – Sortie le 25 janvier 2006

Avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz

 

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