cinéma

Mystic River de Clint Eastwood     

 

 

 

    A un journaliste qui lui demandait à quoi on reconnaissait un film de Clint Eastwood, désireux de voir son illustre interviewé analyser sa carrière ; l’intéressé se fendit d’un laconique et sibyllin: “un film de Clint Eastwood, c’est un film dans lequel je joue”.

 

    Eastwood ne joue pas dans Mystic River. Pourtant, et tout comme dans Breezy, Bird ou Minuit dans le jardin du Bien et du Mal aux génériques desquels il est également absent : il est partout. Dans cette atmosphère noire et sans repentir, marquée par un fatum irrémédiable, dans ces plans apparemment anodins mais à la composition et au cadre sans faille (incroyable dernière séquence de la parade), dans cette vision d’une Amérique plus que jamais souillée et sur la (très) mauvaise pente. Dans le flic droit qu’interprète Kevin Bacon bien sûr, écho de celui, tout aussi intransigeant, qu’il a souvent interprété lui-même.

 

    Tout avait pourtant bien commencé, comme au cinéma, par une belle histoire d’amitié entre 3 gamins jouant dans la rue. Mais la réalité a tôt fait de rattraper l’un d’eux (le futur Tim Robbins), enlevé sous les yeux de ses 2 camarades pour être séquestré et violé pendant plusieurs jours. Bien sûr, rien ne sera plus jamais pareil et une fois adultes. Les cicatrices encore béantes ne demandent qu’à s’ouvrir un peu plus. Ainsi lorsque la fille de l’un (Sean Penn) est sauvagement assassinée, le trio se reforme sous l’autorité morale de Kevin Bacon. Les indices le conduisent très vite vers l’ ami Tim Robbins, victime-bourreau désignée par les Dieux, dont le regard semble matérialisé par ces nombreux plans aériens de la ville de Boston.

 

    Dès lors en effet, plus rien ne pourra arrêter le cours des évènements, pas même une enquête policière exemplaire: personne ne sortira d’ici vivant, ou tout du moins innocent, c’est ce que semble dire Eastwood. Il ne s’autorise aucune facilité scénaristique, pourtant c’eût été tellement simple avec une telle intrigue!. Il ne verse jamais dans la démagogie ni les bons sentiments : une gageure compte tenu des thèmes abordés. Il avance implacablement vers ce dénouement d’une insondable noirceur, métaphore de l’état d’un pays corrompu jusqu’à la moelle pour qui, plus que jamais, la fin, même immorale, justifie les moyens.

 

   Avec une certaine perfection formelle, avec son interprétation magnifique (Robbins en chien battu, Penn comme d’habitude over the top, Bacon, immense dans son meilleur rôle), et malgré son classicisme sans faille (les séquences les plus solennelles ont cette grave quiétude inhérente aux meilleurs Ford), Mystic River est donc un grand film malade, tout comme Impitoyable avant lui: tous coupables voilà le verdict eastwoodien.

 

    Accessoirement, il est le meilleur Eastwood depuis un bon moment, et nous permet d’oublier les gentilles mais anecdotiques récréations qu’étaient Jugé Coupable, ou Space Cowboys, ou encore l’indigne Créance de Sang. Un Eastwood qui se paie le luxe d’aborder un genre nouveau pour lui, celui de la chronique communautaire (les Irlandais de Boston), où le réalisateur - à plus de 70 ans- nous livre l’une de ses plus grandes oeuvres, en tout cas la plus sombre. Un réalisateur qui illustre mieux que quiconque l’expression “légende vivante”. Si l’espoir n’est plus sur les rives de la Mystic, les amateurs de cinéma américain ont encore de bonnes d'y croire.

 

Laurent