cinéma

Nordeste de Juan Solanas 

[3.5]

 

 

    Hélène est cadre dans une entreprise où elle dirige avec efficacité le service des ventes des médicaments. La première scène nous la fait découvrir menant une réunion au cours de laquelle elle présente celui qui la remplacera les prochaines semaines. En effet, Hélène s’apprête à partir pour l’Argentine, non pas pour des vacances, mais pour y adopter un enfant grâce au concours d’un ami avocat autochtone.

 

    Adoption, pays étranger. On a encore en mémoire le dernier film de Tavernier : Holy Lola. Mais, là où le cinéaste français centrait son œuvre sur le parcours semé d’embûches et de difficultés d’un couple adoptant, Juan Solanas part de la quête d’Hélène pour aboutir au tableau de l’état actuel de son pays. Après un passage à Buenos Aires, Hélène part pour le Nordeste, une immense région plate à perte de vue, sorte de « vertige horizontal », devenue la plaque tournante du trafic d’enfants, de la prostitution enfantine et de la vente d’organes. Au milieu de ces paysages balayés par tous les vents et hachurés d’arbres magnifiques, Hélène au gré de ses rencontres vacille sur ses certitudes d’occidentale. Elle se lie d’amitié avec Juana, figure inversée d’Hélène, car si Juana n’a rien et vit dans une misère absolue prête à être expulsée, elle a aussi un fils et un amant. Une belle complicité au-delà des statuts et des apparences s’instaure entre les deux femmes par l’intermédiaire du jeune Martin.

 

    Remarqué à Cannes il y a deux ans où il obtint le prix du jury pour son court métrage L’homme sans tête, Juan Solanas a voulu avec Nordeste rendre hommage à son pays dévasté et ruiné. Ce qui conduit à des comportements vénaux et abjects comme abattre de sang froid un gamin présumé voleur, comme accepter une somme colossale d’une étrangère en lui vendant un bébé atteint de malformation.

Pas de pathos, pas de happy end dans Nordeste, juste la prise de conscience par une femme protégée d’une réalité sordide, mais aussi des moments joyeux, des fêtes, de la musique, de la danse.

C’est peu de dire que Carole Bouquet s’est investie dans ce film pour lequel elle est partie tourner deux mois dans une région à la fois hostile (humidité, chaleur, animaux) et grandiose. Outre de mettre en concordance sa propre implication dans l’action pour l’enfance maltraitée et son travail d’actrice, elle en profite pour casser son image de beauté froide. Sans maquillage, décoiffée, elle offre une interprétation en état de grâce dont la sobriété et la retenue épatent.

 

    Magnifiquement photographié, pour montrer que la misère et la beauté peuvent cohabiter, Nordeste, présenté dans la section Un Certain Regard, est d’ores et déjà une des bonnes surprises du cru cannois 2005. Profitons donc de sa sortie simultanée dans les salles.

 

Patrick Braganti

 

Film argentin – 1 h 44 – Sortie 13 Mai 2005

Avec Carole Bouquet, Mercedes Sampietro, Ignacio Jiménez

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