cinéma

Le plafond de verre de Yamina Benguigui

[4.5]

 

 

La France a connu dans les années 50 une importante immigration provoquée par des événements politiques (rapatriements d’Algérie, harkis) et un besoin accru de main d’œuvre (le pays était alors en pleine reconstruction et en plein essor). La majorité de cette population a passé sa vie professionnelle dans le secteur industriel, minier ou le bâtiment et les travaux publics à des postes d’ouvrier spécialisé de premier niveau, exécutant la même et souvent pénible tâche. Ils ont rarement connu une vague promotion et d’une manière générale se sont vite cognés au plafond de leur ascension sociale.

Grâce à l’école publique et aux principes d’ascenseur social qui prévalaient alors, leurs enfants et petits-enfants ont pu accéder au savoir (lire et écrire en langue française), acquérir des diplômes et envisager une véritable carrière, comme vecteur d’intégration et comme juste reconnaissance des efforts consentis par leurs aînés et eux-mêmes. Depuis 1970, la réussite scolaire et universitaire des jeunes Français issus de l’immigration a été croissante. Hélas, la crise économique et son dommage collatéral qu’est le chômage de masse sont passés par là, faisant des jeunes diplômés issus de l’immigration les premières victimes d’une discrimination pernicieuse et insidieuse, presque tapie dans l’ombre, pourtant cruellement réelle.

 

Yamina Benguigui, dont on connaît l’excellent travail de documentariste (Mémoires d’immigrés en 1997 avait durablement marqué), s’attaque aujourd’hui au sujet délicat et devenu d’une brûlante actualité en dénonçant les aspects invisibles dont souffrent les gens issus de l’immigration. En fait, elle propose deux documentaires : l’un Le plafond de verre étant le constat douloureux à partir de témoignages souvent poignants ; l’autre Les défricheurs, construit sur le même schéma, apparaissant comme une lueur d’espoir. Certain(e)s parce que plus combatifs ou chanceux finissent par s’en sortir mais force est de reconnaître qu’ils ne représentent encore qu’une infime minorité.

Le travail de Benguigui est d’une sobriété exemplaire : très en retrait, elle n’apparaît jamais et on entend à peine sa voix, juste quelques approbations. On serait presque tentés de dire qu’elle a réussi un casting parfait tant ses témoins sont touchants de sincérité et d’émotion. Dans Le plafond de verre, Kamel, docteur en économétrie, ne cache pas son énorme déception à ne pas être parvenu à entrer dans la vie active et avoir dû se réorienter vers une activité plus manuelle. Ses larmes et surtout sa transformation physique au regard des photos dont la réalisatrice émaille sa confession en sont l’illustration. Tous rapportent donc leur impossibilité à décrocher le moindre entretien, victimes de leur identité et de leur couleur de peau. Ce n’est pas pour rien que le taux de chômage des jeunes diplômés issus de l’immigration est trois fois plus élevé que celui de la moyenne nationale. Une situation qui s’explique en partie, on l’a dit, par la crise économique, mais pas seulement. En effet, outre les entretiens avec les jeunes discriminés, la cinéaste a aussi rencontré des grands patrons, tous curieusement pétris de bons sentiments et d’une conscience exacerbée que la situation ne peut plus durer. L’entreprise, comme l’école et hier l’armée, doit demeurer (ou redevenir) ce creuset symbolique rassemblant par le biais de l’emploi toutes les composantes de la société et créant le sentiment d’appartenir à une nation et de participer à son développement.

 

A entendre les défricheurs – les trop rares qui s’en sortent comme la directrice de la Fnac Bastille ou le directeur d’un magasin Conforama – on se dit que les entreprises décidément bien frileuses n’ont rien compris. Il est grand temps de reconnaître les énormes efforts acceptés par des jeunes à la lucidité criante et à la volonté inébranlable et de leur donner une véritable occasion de réussir leur vie.

Alors que le sujet est plus que jamais sous les feux de la rampe (discrimination positive et égalité des chances), les deux documentaires de Yamina Benguigui tombent à point nommé en inscrivant dans la réalité ce qui pour beaucoup n’a guère de significations. Elle réussit au final à réaliser deux films qui dégagent force et optimisme.

Comme les copies sont plutôt rares, comme la forme est ici accessoire, la sortie DVD sera à surveiller de près car Le plafond de verre, les défricheurs est à voir absolument.

 

Patrick Braganti

 

Documentaire français – 1 h 44 – Sortie le 11 janvier 2006

 

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www.yaminabenguigui.fr