cinéma

Quand j’étais chanteur de Xavier Giannoli

[4.0]

 

 

Qui aurait cru qu’El Chato, célèbre pour son tube d’un été La chunga nous donnerait l’un des plans les plus bouleversants du cinéma français récents et peut-être l’un des plus beaux jamais cadrés sur le visage de Gérard Depardieu ?

Quand Alain Moreau, le chanteur de baloche que décrit Xavier Giannoli dans son film évoque à la jeune agente immobilière Marion (Cécile de France) les tubes qu’il interprète sur scène, et cite donc La chunga, la salle de cinéma retient son souffle (j’avoue l’avoir fait aussi). Car ce dont il s’agit est du combat entre le premier et le second degré, entre la gentillesse avec laquelle un film traite son personnage ou, dans bien d’autres malheureux exemples, du mépris.

Pendant une demi-seconde, on se dit que va venir une moquerie, que bien sûr il n’est pas question qu’en 2006 un film puisse ne pas ridiculiser un chanteur éphémère, et son réalisateur ne pas prendre le parti des moqueurs.

 

Alors, on attend et Depardieu répéte “El Chato”, qu’il apprécie. Et que Marion ne connaît pas. Différence d’âge, différentiel culturel : c’est dans cette histoire d’attraction (im)possible (le dernier plan du film laisse planer tous les doutes) dans les interstices même que Giannoli nous comble. Alors qu’on voit mal comment, surtout avec l’arme du final cut qu’il détient probablement, il a pu laisser autant de trous dans son script, ou autant d’ellipses parfois mal négociées.

 

Oui, mais voila, quand le courant passe au cinéma, tout se dépasse. C’est un des mystères de l’alchimie et Quand j’étais chanteur en bénéficie. Les contrats échafaudés un matin dans un bar avec un acheteur qui envisage pourtant un karaoke à la place de l’orchestre de Moreau ? Ca passe. Les visites de maisons qu’organise Marion pour Alain, au gré de ses changements d’humeur et d’avenir, cela passe aussi. Et bien.

Et on n’est pas près d’oublier la très belle séquence où Alain entraîne Marion au sommet des volcans auvergnats. On en sort galvanisé, ému, car on décèle vraiment ce que Depardieu peut apporter à un personnage qui lui ressemble vraiment... Quand il s’agit d’un terrien, comme Martin Guerre ou le fermier de 1900 de Bertolucci.

 

Il y a aussi une splendide audace de la part de Giannoli scénariste d’avoir échafaudé un chanteur de bal qui, même s’il vend ces CDs à la sortie, ne se fond pas dans les clichés (du moins les miens) des musicos enfumés. Un cheval et surtout une chèvre vivent sous le toit (pour la seconde littéralement !!!) d’Alain Moreau et quand Marion, hésitante sur ses propres sentiments vient rejoindre le chanteur “pathétique” qu’elle a éconduit, le premier réflexe de ce dernier (terrassé, imbibé, surdosé en somnifères) une fois sorti du lit est “d’ouvrir la porte à sa biquette”. Là aussi, Depardieu est insensément bon. On ne sait plus vraiment où commence le portrait et où se prolonge ses propres racines campagnardes.

 

Finalement, ce qui devait être le clou du film, son acmé scénaristique (à moins qu’il ne s’agissât d’une fausse piste) à savoir la consécration qu’obtient Moreau en passant dans une grande salle en première partie de Christophe (le vrai...) tombe à plat ou plutôt dans le vide.

Comme si, finalement, à force de nous avoir tenu sur la simple force des sentiments, et du quotidien d’une jeune femme en souffrance (le premier mari de Marion est mort, et elle peine à s’imposer en mère de sa petite fille), le film nous avait tellement élevés qu’il dégringole dans un suspense qui rappelle malheureusement la médiocre fin de Jean-Philippe : chantera t’il ?

 

Mais cette réserve ne doit pas dissuader de voir ce film et surtout de le voir en salles. Car l’image de Yorick Le Saux est magnifique, et le montage de Martine Giordano particulièrement subtil, notamment quand il s’agit de montrer les silences entre les amants potentiels.

 

Pierre Gaffié

 

PS / Comme pour les deux-tiers des films français actuels, on ne manquera pas de s’énerver du sempiternel “placement de produits”

(c’est aujourd’hui un métier à part entière) qui jonche le film. On se souvient de l’inénarrable Lavazza de Peindre ou faire l’amour, ici on a droit à un Perrier toutes les demis-heures...