cinéma

Raja  de Jacques Doillon      / 1/2

 

 

    

    Un grand cru que nous livre là Jacques Doillon, que le soleil du Maroc a visiblement inspiré… Raja est un film émouvant, intelligent dans son approche, drôle et parfois même burlesque, sorte de remake de « la femme et le pantin », où deux êtres que tout sépare (la culture, le niveau social, l’âge…) vont tour à tour s’éprendre, se rapprocher, se fuir, se manipuler (et parfois bien malgré eux). Un désabusé cynique et revenu de tout, qui aimerait du " cul léger", à défaut de ne plus avoir de libido, se laisse ainsi prendre, bien malgré lui, au piège du désir et de l’amour, par l’intermédiaire d’une jeune marocaine à son service, dont la vitalité et la fraîcheur réveillent ce qu’il croyait pourtant éteint…

 

    Film sur la difficulté d’aimer, de se faire confiance d’emblée, quand beaucoup de choses (à commencer par la langue et l’entourage) font barrage… avec une mise en scène, sobre, qui fait la part belle aux personnages et aux dialogues (souvent très drôles). La profondeur de l’histoire flirte ainsi avec une légèreté et un ludisme rafraîchissants qu’on n’a pas souvent vu chez Doillon

 

    On est aussi content d’avoir affaire à des personnages ambigus, que l’on trouve tour à tour minables, généreux, pervers, agaçants, touchants… servis magnifiquement par les deux acteurs principaux : Pascal Greggory, au mieux de sa forme, qui semble être fait pour l’univers du cinéaste, et l’étonnante Rajat Benssalem, à la beauté étrange et d’autant plus troublante, que l’on souhaite revoir très vite ! Soulignons également que les acteurs « du cru » font aussi le charme de ce film (dont deux croustillantes vieilles sorcières mégères qu’on aimerait bien, paradoxalement, avoir comme nounous !).

 

    Certes, les "jeux d’argent, jeux de vilains" se terminent rarement bien, et pourtant, on se laisse aller à imaginer, au-delà de la fin, réaliste et donc plutôt négative, que ces deux "handicapés des sentiments" se retrouveront peut-être un jour… Allez, Raja, laisse tomber Mobylette  et apprend à faire confiance à Frigidaire , plus sincère que tu ne le penses peut-être !…

 

Cathie

     

 

 

 

    Le cinéaste inspiré et torturé, fin analyste de l’enfance et de l’adolescence – on se souvient avec plaisir du Petit criminel, du Jeune Werther ou de Petits frères – déplace ce coup-ci ses caméras au Maroc, à Marrakech. Dans une belle maison, Fred (Pascal Greggory) mène une existence oisive tel un nabab entourée de deux vieilles cuisinières et essaie de faire renaître le désir en s’intéressant aux jeunes filles qui viennent travailler dans son jardin, et plus précisément à Raja (Najat Benssallem), jeune orpheline à la fois rétive et insolente. Déjà déçue par une existence dure, elle ne veut pas croire en l’amour passionnel que lui prodigue Fred et tente de lui soutirer de l’argent et, pourquoi pas un mariage éventuel.

    

    C’est donc la rencontre impossible entre un homme revenu de tout, bavard et cynique, riche et puissant et une jeune fille farouche et lucide que Doillon filme dans toutes ses hésitations, tous ses atermoiements et comme toujours chez ce réalisateur, rien n’est jamais évident ni simple, tout y est disséqué à l’extrême et parfois on finit par ne plus saisir ce qui motive réellement Fred.

   

    Dans ce rôle d’homme occidental pourri par l’argent, Pascal Greggory offre une interprétation subtile et variée : des rires joueurs et charmeurs aux doutes et aux larmes. Cet acteur de cinéma et de théâtre, longtemps associé à Chéreau (Dans la solitude des champs de coton, La reine Margot, Ceux qui m’aiment prendront le train) avec sa gueule de baroudeur et sa voix un rien distanciée réussit à nous rendre attachant le personnage de Fred pourtant fort peu aimable.

Face à lui, la jeune Najat Benssallem est une Raja sans illusions, fière et orgueilleuse, qui découvre les premiers tourments de l’amour et de la passion. De plus en plus attirée par Fred, elle se refuse en même temps à accepter cet amour auquel elle ne croit pas.

 

    En montrant des relations tronquées et rendues impossibles par l’attrait et le pouvoir de l’argent, omniprésent dans le film, Jacques Doillon réalise un film torturé, âpre et surtout d’une grande tristesse où les deux protagonistes, chacun infirme des sentiments, sont incapables de se faire confiance et détruisent simultanément un début d’amour putatif. A peine allégé par quelques scènes moins denses : les bavardages sur les garçons entre Raja et ses copines, tels que toutes les filles du monde peuvent les pratiquer, le film de plus en plus resserré sur Fred et Raja gagne en tension et en densité et atteint une gravité parfois pesante, n’évitant pas non plus des longueurs à la limite de l’ennui. Peut-être n’était-il pas facile de traiter à la fois du sentiment amoureux entre deux personnes et le poser dans un contexte de différenciation sociale aussi prononcée (Nord/Sud et riches/pauvres).

 

    Greggory grandiose et Benssallem incandescente ne parviennent pas complètement à faire oublier les méandres torturés de Raja, qui frise parfois avec l’exercice de style.

 

Patrick