cinéma

Shortbus de John Cameron Mitchell

[4.5]

 

 

Filmer le sexe frontalement de manière non simulée est un exercice excitant et périlleux. Passée la curiosité lubrique, on craint toujours la même répétition de gestes et positions mécaniques qui ne distillent au final que tristesse et ennui. La chair est en effet le plus souvent triste à l’écran, surtout lorsque son exhibition s’accompagne de réflexions philosophiques – qui se révèlent la plupart du temps oiseuses et stériles – sur le destin de l’homme. Si le cinéma des années 60 et 70 aborda la sexualité avec franchise et humour décapant, situation favorisée par l’explosion de la libération sexuelle sous toutes ses formes et sous de nombreuses latitudes, les années 80 et suivantes marquées par l’irruption également planétaire du Sida furent beaucoup moins joyeuses et légères.

 

C’est en ayant en mémoire l’esprit libertaire et novateur de l’époque qui le vit naître au fin fond du Texas en 1963 que John Cameron Mitchell, artiste pluridisciplinaire, tout à la fois acteur, metteur en scène de théâtre, cinéaste et producteur, a entrepris de tourner une comédie new-yorkaise, déjantée et érotisée. Shortbus, qui fait référence aux petits bus destinés aux gamins atteints d’une anormalité (surdité, handicap physique, surdoué ou encore déficient mental) en opposition aux grands bus jaunes chargés de transporter les écoliers « normaux », met donc en présence chez eux et dans un club underground lui aussi nommé Shortbus une galerie de personnages plutôt atypiques et marginaux, en rupture ou en inadéquation avec la société qui les entoure et les agresse. Parmi la clientèle disjonctée et farfelue de cet établissement considéré comme un refuge polyvalent où tous les malaises et les sentiments d’exclusion peuvent s’exprimer dans la liberté et la joyeuse pagaille propices à toutes les expérimentations, le réalisateur s’attache davantage à quatre personnages. Sofia, canadienne d’origine asiatique, est une sexologue qui n’a jamais connu l’orgasme, simulant son plaisir avec Rob son mari qu’elle entretient dans la méprise malgré leur couple en apparence libéré. James et Jamie sont un couple homosexuel en plein désarroi, ressentant le besoin de renouvellement qu’ils se voient bien satisfaire en incluant à leurs relations sexuelles un troisième partenaire. Enfin, Severin est une maîtresse dominatrice qui semble assouvir ses fantasmes et trouver son bonheur dans des rapports violents et de totale soumission.

 

Inutile de dire qu’en dépit de cette apparente absence de tabous, cette capacité à parler de tout et à intellectualiser le sexe, tout ne va pas pour le mieux chez Sofia et les autres. John Cameron Mitchell choisit donc d’utiliser le langage de la sexualité sans artifice ni mièvrerie comme une métaphore de la vie en général. Il se et nous demande en quoi la sexualité régit et impacte l’existence de ses personnages. Qu’a à résoudre Sofia dans son couple pour pouvoir atteindre l’orgasme ? Qu’est ce que le duo si solide et si autarcique de James et Jamie, garçons tellement mignons et gentils qu’ils provoquent la convoitise de leur entourage, peut cacher comme fêlures ? Et Severin, est-elle aussi forte et autoritaire que ses pratiques le laissent croire ?

D’abord drôle et enlevé, tenant de la comédie de boulevard transposée dans un milieu artistique et intello, Shortbus gagne en intensité et gravité pour finir par être totalement bouleversant. La démarche engagée par les protagonistes à disséquer leur intimité dans une franchise douloureuse et sans chichis nous touche sincèrement, en créant une proximité inattendue et empathique. L’impression d’assister à un projet cohérent provient sans doute de l’engagement total de tous les acteurs, qui, en plus de leur prestation, ont pris part au processus créatif et à l’écriture du scénario. Une implication nécessaire et salutaire puisqu’il faut rappeler que rien n’est simulé ni truqué dans ce que nous voyons.

 

Aujourd’hui, l’audacieux Shortbus rejoint dans notre panthéon personnel des films libres et habités, au firmament du cinéma comme aide à vivre et à comprendre, toute l’œuvre de Gus Van Sant (My Own Private Idaho est d’ailleurs mentionné) et Tarnation de Jonathan Caouette que John Cameron Mitchell aida à monter.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique américaine – 1 h 42 – Sortie le 8 novembre 2006

Avec Sook-Yin Peel, Paul Dawson, Lindsay Beamish

 

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www.shortbus-lefilm.com