cinéma

Still life de Jia Zhang Ke

[5.0]

 

 

Le premier plan de Still life, lent travelling circulaire, cadre des passagers sur un bateau occupés à jouer, écouter leur téléphone, manger, somnoler dans une promiscuité encore renforcée par la quasi nudité des corps. A la proue du navire, San Ming, un peu isolé, enlève sa veste pour être plus à l’aise dans son marcel blanc – on ne lui verra pas d‘autre vêtement - avant d’accoster à Fengjie. Venant d’une lointaine province, il débarque pour retrouver son ex femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis seize ans. En parallèle, Shen Hong est aussi à la recherche de son mari disparu depuis deux ans.

 

Les deux personnages en quête amoureuse de leur passé plus ou moins éloigné sont confrontés à un lieu déterminant dans leur démarche et leur rapport au monde. En effet, la ville de Fengjie, située sur les rives du fleuve Yangzi Jiang, le plus long de Chine, est l’endroit stratégique où s’érige le barrage des Trois Gorges, à terme le plus grand barrage hydroélectrique du monde dont l’édification provoque bien des impacts non négligeables sur l’environnement et sur les habitants déplacés par centaines de milliers.

Pour San Ming et Shen Hong, la recherche s’apparente à un jeu de pistes qui les plongent dans les mutations accélérées d’une région. L’ancienne adresse de San Ming est désormais un petit bout de terre émergeant à peine des eaux et l’administration locale en butte aux colères des autochtones ne peut lui fournir d’éléments sur la localisation de son épouse. En attendant, San Ming rejoint une équipe de démolisseurs qui par une ironie mordante détruisent les immeubles qu’ils avaient eux-mêmes construits sous la période précédente du communisme.

Par l’entremise d’un ami commun, Shen Hong peut revoir son mari, directeur de la compagnie de démolition qui a une liaison avec sa patronne. Elle évoque alors une nouvelle vie, un homme qu’elle aime et qui l’attend an aval pour la ramener à Shanghai, et demande le divorce.

 

Still life signifie à la fois « encore en vie » et « nature morte ». Encore en vie, c’est ce que tente de maintenir les deux personnages – et de façon plus globale une population subissant les changements à grande vitesse de leur cadre de vie. La nature morte, on peut la voir comme une métaphore de l’engloutissement des sites historiques et archéologiques et la disparition d’un espace naturel noyé à jamais. Mais le film est aussi ponctué de plans fixes (la caméra se fige quelques secondes) comme de véritables natures mortes – autant de peintures - autour de denrées (cigarettes, vin, thé, bonbons) servant ensuite d’offrandes et de traits d’union entre les personnages.

 

Still life a reçu le Lion d’Or au dernier festival de Venise, récompense tout à fait méritée au regard de sa splendeur formelle. Le film qui travaille notamment sur le passage du temps inscrit dans la transformation des corps et du paysage se rapproche de la peinture classique. D’ailleurs, le point de départ a été un projet de documentaire sur un peintre chinois. On retrouve ici les éléments inhérents à la peinture nationale : la rivière, la montagne et la brume. Le film est ainsi enveloppé d’un brouillard permanent, créant une étrange sensation d’irréalité vaporeuse. Cette impression de rêve, de s’immiscer dans l’imaginaire et le surréalisme se confirme lorsqu’une soucoupe volante traverse le ciel au-dessus de Shen Hong ou lorsqu’un immeuble qui a tout l’air d’un totem décolle comme une fusée.

 

Si les premières images se déroulant comme un rouleau de peinture chinoise augurent de la magnificence annoncée du film, les dernières qui montrent un ouvrier avançant en équilibre sur un fil illustrent la dualité omniprésente. Celle qui oppose l’ancien et le nouveau monde : le communisme en plein effondrement et le capitalisme se construisant sur ses ruines et produisant au final les mêmes effets sur les tranches les plus pauvres du peuple. Celle qui instaure une frontière entre les hommes et les femmes : les premiers attachés aux valeurs traditionnelles avec ces nombreuses scènes presque érotiques de groupes où, à demi-nus à cause d’une chaleur étouffante et moite, ils partagent repas ou cadre de travail ; les secondes plus volontaires, plus déterminées à faire choir les barrières et sortir d’un certain immobilisme.

Film ambitieux, au rythme lent, Still life tient du documentaire, de la réflexion politique et du conte philosophique et mêle néoréalisme avec poésie.

 

Patrick Braganti

 

Drame chinois – 1 h 48 – Sortie le 2 Mai 2007

Avec Han Sanming, Zhao Tao, Li Zhubin