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                               Tarnation 
                              de Jonathan
                              Caouette 
                                
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                            Présenté au dernier festival de
                        Cannes, le film de Jonathan Caouette a fait
                        l’effet d’un coup de poing et a suscité débats et
                        polémiques. Qui ont essentiellement porté sur sa forme
                        et son budget minimal puisque estimé à un peu plus de
                        deux cents dollars. En fait, il s’agit d’un film
                        compilation à partir d’une vingtaine d’années
                        pendant lesquelles Caouette s’est filmé lui et
                        sa famille « pour en garder une trace et donner
                        un sens à sa vie ». 
                        
                         
                         
                        
                         
                            Car il ne suffit certes pas de se
                        filmer, de réaliser un brillant montage grâce à
                        l’informatique pour accoucher d’un film bouleversant
                        et humaniste. Sans quoi chacun pourrait très vite
                        devenir le cinéaste de sa propre vie, théorie par
                        ailleurs largement développée et appliquée par le
                        biais de la télé-réalité. Non, encore faut-il avoir
                        quelque chose à filmer, posséder un regard et appréhender
                        cette démarche comme salutaire et thérapeutique. Le
                        petit Jonathan qui se colle à sa caméra, super-8 puis
                        numérique, et à son appareil photo dès l’âge de
                        onze ans mène « une vie de merde »
                        avec laquelle il va devoir composer.
                        
                         
                        C’est en fait sa mère qui est malgré elle à
                        l’origine du film de son rejeton. Renée LeBlanc
                        jolie plante à la beauté évidente, mannequin texan
                        local, connaît son heure de gloire jusqu’à ce
                        qu’un mauvais diagnostic de schizophrénie dégénère
                        en séjours répétés en hôpitaux psychiatriques et en
                        séances d’électrochocs (traitement à la mode durant
                        les années 70).
                        
                         
                        Jonathan lui est par conséquent retiré et placé dans des
                        familles d’accueil avant d’être repris par ses
                        grands-parents. Il y est à chaque fois abusé et
                        maltraité, renforçant son malaise et l’amour illimité
                        voué à sa mère.
                        
                         
                        Trente ans plus tôt, Caouette aurait été l’écrivain
                        d’un journal intime poignant et déchirant. Loin de
                        l’univers de l’écriture, conscient dès son plus
                        jeune âge de son attrait pour les garçons, il choisit
                        logiquement l’emploi de l’image comme planche de
                        salut. « Filmer tout ça, c’était me donner
                        l’illusion que j’avais un certain contrôle sur
                        cette vie ».
                        
                         
                         
                        
                         
                            Résumer et synthétiser vingt ans de
                        pellicules et de photos en une heure et demie relève de
                        la gageure. On se prend donc à regretter que le film ne
                        dure pas plus longtemps. Devant cette rafale d’images
                        démultipliées, saturées, accélérées et présentées
                        à travers des supports multiples, on est souvent anéantis
                        et sonnés. Dans le souci légitime de cohérence et de
                        reconstitution, Caouette multiplie les
                        bancs-titres et donne autant à voir qu’à lire. On a
                        donc conscience de la démence latente qui imprègne la
                        vie du réalisateur aux fréquentations peu
                        recommandables, des clubs gay aux artistes punks, de
                        Houston à New York. Mais on a du mal à éprouver de
                        l’émotion ou de la compassion, et il faut attendre la
                        dernière partie du film pour que celles-ci surviennent
                        au moment même où l’image se stabilise et se pose
                        dans la captation de Renée en pleine scène de folie
                        hystérique. Elle y interprète jusqu’à la nausée
                        une comptine et joue de manière obsessionnelle avec une
                        citrouille. Cet instant extrêmement dilué au regard du
                        reste devient par son étirement voulu difficile à
                        supporter et éclaire soudain la relation fusionnelle
                        entre Renée et Jonathan. « Je vois le film
                        comme une déclaration d’amour à ma mère ».
                        
                         
                         
                        
                         
                            Forcément exhibitionniste, surtout dans
                        sa partie new-yorkaise où Jonathan et son petit ami
                        David se filment sous toutes les coutures dans un
                        narcissisme complaisant, Tarnation est avant tout
                        à appréhender comme un processus cathartique. 
                        
                         
                        Archiviste talentueux et jusqu’au-boutiste d’une vie à
                        (re)construire, Caouette nous livre en pâture
                        sans mode d’emploi un film dérangeant et audacieux,
                        dont la folie destructrice et logorrhéique des images
                        est étrangement atténuée par une bande-son imparable
                        et mélodique, où se côtoient Nick Drake, Cocteau
                        Twins et Low.
                        
                         
                          
                           
                        Palme incontestable du film ovni pour 2004, Tarnation
                        ne doit pas être réduit à sa forme et à sa genèse,
                        mais doit être décrypté à travers ses images pléthoriques
                        et envahissantes comme un exercice de sauvegarde
                        personnelle où « la caméra est devenue une
                        arme, un bouclier, une façon de faire avec cette vie ».
                        Où l’exposition d’une vie merdique ouvre singulièrement
                        de nouveaux horizons au cinéma dans ses modes
                        d’expression.
                        
                         
                          
                        Patrick Braganti
                        
                         
                          
                        Américain – 1 h 28 – Sortie le 10 Novembre 2004
                        
                         
                        Avec
                        Jonathan Caouette, Renée LeBlanc, David Sanin Paz
                        
                         
                         
                        
                         
                         
                        
                         
                         
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