cinéma

Taxidermie de Gyorgy Palfi

[3.0]

 

Conseil en forme de préambule pour tous ceux qui tenteront l’aventure éprouvante d’aller voir Taxidermie : ne pas avoir fait un bon repas avant et ne pas envisager d’en faire un après. Car Taxidermie devrait vous dégoûter au moins pour quelques heures de toute absorption de nourriture. Dans le genre caca vomi, le second film du hongrois Gyorgy Palfi est un must. Les élucubrations de Fellini ou même Ferreri apparaissent comme du pipi de chat à côté du délire grand-guignolesque et rabelaisien de Palfi.

Divisé en trois époques, Taxidermie met en scène respectivement les trois générations masculines d’une même famille. Le grand-père, intendance d’un officier dans un campement isolé et glacé, se livre à une activité masturbatoire soutenue, où il se flambe la bite, joue les voyeurs et se vautre avec délectation dans la fange du cochon. Frénésie sexuelle à tous les étages dans un coin de campagne reculé, vivant cinq cents ans en arrière, métaphore d’une société pourrie jusqu’à la moelle par les ravages du régime communiste.

D’une copulation inimaginable naît Kalman, fils illégitime, qui tient de l’humain et du goret et va gravir les plus hautes marches des podiums des olympiades de la bouffe, celles durant lesquelles des sportifs très particuliers ingurgitent des kilos de nourritures diverses qu’ils s’empressent de restituer aussitôt l’épreuve terminée. Après des années de vache très maigre, le pays s’ouvre au capitalisme, donc à l’opulence et à la (sur)consommation.

Kalman file le parfait amour avec Gizi, son alter ego féminin championne elle aussi à ses heures dans la noble spécialité des viandes. L’enfant qui naîtra est l’exacte antithèse de ses géniteurs : maigre à faire peur, il exerce en solitaire maniaque et allumé le métier de taxidermiste et finira par empailler son père devenu un monstre impotent et tyrannique et se dépecer lui-même dans l’objectif fou d’une nouvelle modélisation de son corps.

 

Reconnaissons donc la folie de ce projet, à voir à la fois comme une allégorie charnelle et déjantée de l’histoire hongroise du vingtième siècle et comme une réflexion en trois volets sur la place du corps, ses métamorphoses et son langage. Trois corps tour à tour rejetés, niés, transformés en outil de pouvoir – la célébrité internationale pour le père et l’expérimentation scientifique pour le fils.

Bien sûr, Taxidermie est une (grosse) farce avec tout ce que cela sous-entend d’exagération, de débordements et d’invention aussi. La première partie est la plus convaincante sur le plan cinématographique : soin des cadrages, belle utilisation de la lumière et casting de gueules incroyables. La suite est plus relâchée et donc moins excitante. Seule l’apparition du fils squelettique, savant fou en manque d’amour, redonne un peu d’humanité à Taxidermie, qui fait pourtant de l’humain sa matière, mais cantonne un peu trop ses personnages à des clowns style freaks.

Pas sûr que le cinéaste ait quelque empathie pour le genre humain dépeint ici comme lubrique, intéressé, opportuniste et ambitieux. Un tableau affligeant mais hélas réaliste de la nature humaine. Malgré son aspect gore appuyé, Taxidermie est traversé de fulgurances baroques qui le rapproche d’un univers de science-fiction.

Inégal et tordu, dérangeant et crispant, jouant la provocation et l’excès plus que nécessaire – ce qui en diminue l’impact -, Taxidermie appartient en effet à la catégorie très prisée des films qui ne peuvent laisser indifférents, le mieux étant encore de se faire son propre avis.

 

Patrick Braganti

 

Drame hongrois – 1 h 31 – Sortie 23 Août 2006

Avec Csaba Czene, Gergely Trocsanyi, Adel Stanczel