cinéma

The Queen de Stephen Frears

[4.0]

 

 

Pour être tout à fait exact, Stephen Frears aurait dû intituler son dernier film : The Queen and Tony Blair. Tant il est vrai que les deux personnages font jeu à part égale, un jeu politique du chat et de la souris, un jeu subtil où deux mondes se côtoient dans un contexte bien particulier. En cette fin Août 1997 à Paris, la princesse Lady Diana meurt d’un tragique accident de voiture contre une pile du pont de l’Alma. La disparition de la jeune femme met en émoi la planète entière, ses dirigeants comme ses peuples, et plonge la Grande-Bretagne dans un désarroi abyssal. En cette année 1997, ce n’est pas le seul événement d’importance que connaissent les Britanniques : le « nouveau » parti travailliste vient de gagner les élections et leur leader Tony Blair s’apprête à être nommé Premier ministre par Elizabeth II lors d’une rencontre en tête à tête à Buckingham Palace. A ce moment-là, Tony Blair, frais émoulu, tout sourire, nullement rompu aux arcanes grotesques mais incontournables du protocole, subit avec stoïcisme la condescendance aristocratique de la Reine.

 

Un rapport de forces ébranlé et redéfini dès les premiers jours de Septembre 1997. Si la famille royale veut considérer la mort de la princesse comme une affaire strictement privée, excluant toute cérémonie officielle et toute intervention publique de sa part, Tony Blair et ses proches collaborateurs saisissent avec l’intuition visionnaire caractéristique des grands hommes politiques l’impact de la tragédie. Et lorsque le Premier ministre qualifie Diana de « Princesse du peuple » (trouvaille géniale d’un de ses assistants), il devient le chouchou des sondages, alors que Elizabeth II et sa famille suscitent par leur silence têtu et leur exil campagnard la désapprobation et la colère des Anglais.

Plutôt que tirer facilement avantage de cette situation, Tony Blair préfère convaincre la Reine de rentrer à Londres et d’accepter des funérailles officielles pour Diana.

 

C’est le meilleur du film, cette confrontation entre deux « animaux » politiques à l’intelligence vive, l’une comprenant son erreur à persévérer dans une voie qui la rend de plus en plus impopulaire, l’autre appréhendant déjà l’éphémère du pouvoir et les désillusions à venir. L’exercice du pouvoir suprême se pratique aussi dans la solitude : la Reine immobilisée dans le lit d’un torrent au volant de sa voiture manifeste pour la première (et la seule) fois ses doutes et son chagrin dans une scène touchante de pudeur lyrique, et Tony Blair subit pour sa part l’opposition de son équipe et de sa femme Cherie, farouche adversaire de la monarchie tout comme le Prince Philip campe sur ses positions. Stephen Frears forme ainsi un étrange et inattendu quatuor entre les époux Blair et le couple royal.

Proche du documentaire, puisqu’il intercale des séquences avec la vraie Diana (interview, engagement humanitaire), The Queen met aussi en scène le pouvoir des médias, de la télévision et des tabloïdes. Dans ce rapport à l’image et à la communication, l’écart est aussi perceptible entre le point de vue de Elizabeth II, pour qui la dignité, le silence et la discrétion demeurent des qualités britanniques indéracinables, et l’attitude de Tony Blair, disposé à collaborer avec les journalistes, voire à les instrumentaliser.

 

Bien sûr, la composition de Helen Mirren est une performance et la ressemblance entre Michael Sheen et Tony Blair est stupéfiante. Mais ce serait dommageable de limiter The Queen à la qualité de son interprétation et à la minutie appliquée de sa reconstitution. Car ce qui se joue devant nos yeux, dans un film qui refuse le manichéisme, c’est la terrifiante comédie du pouvoir, où la reconnaissance de ses erreurs entraînant des décisions difficiles constitue une véritable « leçon de survie », que le novice Blair, probablement charmé par la longévité et la sagacité de la vieille monarque, reçoit et ne manquera pas de méditer.

 

Patrick Braganti

 

Drame britannique – 1 h 39 – Sortie le 18 Octobre 2006

Avec Helen Mirren, James Cromwell, Michael Sheen