cinéma

La trahison de Philippe Faucon

[4.0]

 

 

Parce qu’ils sont rares et difficiles, les films français sur la guerre d’Algérie désormais inscrite dans l’histoire récente (il y a déjà soixante années que l’Algérie gagna son indépendance) sont précieux. La Trahison n’échappe pas à la règle loin s’en faut. Et de trahison il ne peut en être nullement question en ce qui concerne l’adaptation du roman éponyme de Claude Sales, sous-lieutenant d’une section chargée de missions de guerre psychologique dans le sud-est algérien au sein de laquelle se trouvent quatre appelés autochtones, ceux que l’on rangeait sous l’acronyme FSNA : Français de souche nord-africaine en opposition au FSE, les Français de souche européenne. Les appelés sont bien à distinguer des engagés, des volontaires ou des harkis payés par l’armée française, généralement plus âgés que le contingent et plus combatifs.

 

Pour les jeunes appelés, souvent célibataires ou même orphelins, la situation en continuelle dégradation devient de plus en plus inextricable : rejetés en masse par la population qui les considère comme traîtres, ils font de moins en moins confiance à l’armée française et aux promesses faites par De Gaulle, qui tardent à être suivies d’effets. Pour eux, la solution pour retrouver les faveurs de leurs compatriotes passe par le rejet de l’autorité militaire, plus sûrement sa disparition symbolique. Claude Sales – rebaptisé ici Roque – fait ainsi l’objet d’un complot ourdi par ses quatre hommes visant à le tuer. Pour le jeune homme intègre et sensible, accomplissant son étrange mission dans la campagne aride et rocailleuse du pays – n’oublions pas que la guerre d’Algérie fut d’abord une guerre du bled, et non des villes où étaient rassemblés les européens - , la nouvelle de la conspiration annoncée, puis confirmée par ses supérieurs, fait l’effet d’un électrochoc. A travers cette expérience personnelle se pose en filigrane l’inexorabilité d’une situation pourrissante dont tous les protagonistes et porteurs de la mémoire du conflit : les pieds-noirs, les harkis, mais aussi les officiers supérieurs français qui se sont vus voler leur victoire et plus globalement le peuple algérien dépossédé de son indépendance peuvent s’estimer avoir été trahis.

 

La Trahison met en scène avec sobriété, voire sécheresse, cette ambivalence propre à toutes les guerres, où la tension et la méfiance règnent dans un climat délétère. Le film alterne les scènes nocturnes et diurnes, les premières composées d’heures de guet et de sommeil volé ou tronqué, les secondes terrassées par l’ennui et la lenteur, parfois entrecoupées de combats furtifs et meurtriers. Philippe Faucon, dont les racines sont étroitement liées au conflit, jusqu’alors plutôt versé dans l’univers féminin, s’empare avec talent du roman de Claude Sales et s’interroge par le biais d’un film court et resserré se déroulant sur quelques journées décisives pour la section Roque sur la nécessité de choisir son camp. Alors que le livre était le témoignage vécu et personnel d’un jeune militaire, le film opte pour la fiction élaborée à partir de faits réels et multiplie les points de vue, notamment celui des quatre appelés nord-africains, partageant en arabe leurs doutes et leurs angoisses.

On l’aura compris : dans cette guerre « sans nom », conflit ambigu qui en s’éternisant et s’enlisant conduisait les Algériens à opérer des choix cornéliens et vitaux, (et pour eux « le mauvais choix était mortel », comme le souligne le commandant de Roque), les trahisons et les pièges étaient inévitables de part et d’autre. C’est ce que montre Philippe Faucon dans un film fort et authentique – le tournage effectué en Algérie même ne faisant qu’ajouter à la véridicité – qui a le grand mérite de ne pas asséner de vérités définitives, mais plutôt de susciter des questionnements.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 20 – Sortie le 25 Janvier 2006

 

Avec Vincent Martinez, Ahmed Berrhama, Cyril Troley

 

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