cinéma

Travaux, on sait quand ça commence… de Brigitte Rouan 

[5.0]

 

 

    En trois films depuis quinze ans, Brigitte Rouan a réfléchi sur l ‘impact du chaos sur le destin humain. Dans Outremer en 1990, c’était celui provoqué par la colonisation et la période pré-guerre d’Algérie sur le parcours de trois sœurs. En 1997, Post coitum, animal triste montrait les ravages de la passion amoureuse.

Aujourd’hui c’est la déconstruction d’un appartement en proie à un gigantesque chantier qui sert de décor à cette nouvelle variation sur les obsessions de la réalisatrice, laquelle abandonne avec Travaux la comédie dramatique et son statut de comédienne. En effet pour la première fois Brigitte Rouan cède sa place à une actrice pour le rôle principal. Celui de Chantal, une avocate qui gagne tous ses procès et qui s’est faite un fervent défenseur des sans-papiers. A la suite d’un de ses combats judiciaires, son client Frankie – épatant Jean-Pierre Castaldi - persuadé qu’ils sont devenus inséparables entreprend non seulement de la séduire, mais aussi de squatter son appartement. La brillante avocate sous les feux des prétoires se révèle maladroite et empruntée dans sa vie privée. Aussi pour pouvoir se débarrasser de l’envahissant Frankie décide t-elle d’entreprendre quelques travaux chez elle, orchestrés par un architecte colombien pour lequel elle a récemment plaidé. L’extravagant jeune homme investi de ce premier travail d’importance s’entoure d’ouvriers sans-papiers dont la bonne volonté n’a d’égale que l’incompétence notoire. L’appartement bourgeois et lambrissé devient le théâtre d’un chantier où les murs tombent, les plafonds s’écroulent dans des nuages de poussières et les crises de nerfs de sa propriétaire.

 

    Après deux films noirs et douloureux, Brigitte Rouan aborde avec jubilation et énergie le domaine de la comédie. Travaux est d’abord un film enlevé, une fantaisie débridée qui lorgne aussi vers la comédie musicale. Ainsi toutes les scènes de tribunal, là où Chantal doit convaincre et donner le meilleur d’elle-même, sont-elles présentées sous la forme de chorégraphies. Très vite on assiste à un surprenant mélange entre imaginaire et réalité. La réalité, c’est notamment le problème des clandestins traité par quelques touches qui en disent plus long que bien des films engagés et pompeux.

Travaux fonctionne avant tout sur l’opposition. Celle de la bourgeoise et classe Chantal au milieu d’ouvriers lourdauds et ordinaires. Celle de la distinction de l’avocate et de la ringardise assumée de son client. Celle de la réussite professionnelle et de la débâcle de la vie privée.

La grande force de Travaux est de ne jamais être didactique ni surligné. L’indépendante et frondeuse Brigitte Rouan imprègne à son film son univers personnel qu’elle communique à toute son équipe. Son judicieux casting touille allègrement acteurs connus et inconnus complets et l’effet est détonnant. Carole Bouquet, Blanche Neige moderne au milieu de ses nains patauds et maladroits y trouve sans doute une de ses meilleures compositions. Elle y dévoile un tempérament comique inhabituel exacerbé par une fraîcheur et un abattage réjouissants. Un rôle magnifique qui lui permet de jouer sur toute une palette des rires aux larmes, sans jamais être en porte-à-faux au milieu de cet aréopage hétéroclite.

 

    Ce que réussit très bien Travaux, c’est ce panachage entre toutes les races ; l’appartement de Chantal devenant une miniature du monde dont elle n’a aucune nécessité de prendre conscience puisqu’elle constitue déjà son travail quotidien. Peut-être est-elle simplement confrontée à la réalité de ses principes et ses convictions. Toujours est-il que Travaux dégage un humanisme réconfortant où une table de cuisine devient soudain le lieu de rassemblement d’une communauté disparate et colorée.

Drôle, énergique et jubilatoire, Travaux malgré ses invraisemblances et ses exagérations fonctionne du début à la fin en emportant le spectateur dans une tornade sans cesse réactivée. Il y a un bonheur évident à voir Travaux dont on regrette uniquement qu’ils finissent par s’achever.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 35 – Sortie le 1er Juin 2005

Avec Carole Bouquet, Jean-Pierre Castaldi, Aldo Maccione

 

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