cinéma

Le Vent se lève de Ken Loach

[3.0]

 

 

A soixante-dix ans, le réalisateur britannique Ken Loach à la carrière en dents de scie s’est vu décerner pour son dernier opus la Palme d’Or à Cannes. Récompense méritée pour une carrière longue, qui a rencontré l’estime de la critique et l’accueil du public, surtout à l’extérieur de son pays, plus que pour ce film-ci précisément. C’est en tout cas l’espoir que nous pouvons formuler à l’issue de sa projection, nous laissant avec un sentiment mi-figue, mi-raisin, non pas que Le Vent se lève soit un mauvais film. Son classicisme revendiqué ne peut néanmoins l’inscrire au panthéon des œuvres marquantes et révolutionnaires.

 

Pourtant Ken Loach nourrissait le projet de traiter la guerre d’indépendance irlandaise depuis plus de trente années, laissant ainsi le temps à la préparation et à la maturité d’un sujet difficile et casse-gueule pour tout citoyen britannique. La prise de position du cinéaste qui ne cache pas ses sympathies pour la cause irlandaise ne lui a pas valu que des amitiés au sein de la critique anglaise, qui a mal digéré de surcroît le prix suprême.

En 1920, l’Irlande, pays très rural et pauvre, acquiert son indépendance et supporte de plus en plus mal la présence de l’armée anglaise, brutale et injuste, se livrant aux pires exactions. La mort de plusieurs jeunes innocents entraîne le soulèvement de jeunes paysans, menant une guérilla acharnée contre l’occupant. Parmi le groupe, se trouvent les deux frères O’Donovan que les aléas de l’Histoire vont amener à la rupture et à la tragédie.

 

Avant d’identifier et d’isoler les deux frères au sein des combattants, Ken Loach expose dans une des premières scènes, saisissante et fondatrice, la bestialité crasse et sauvage des officiers anglais et l’organisation des jeunes ruraux qui s’ensuit. Coiffés de casquette qui leur assombrissent la moitié du visage, ces jeunes hommes tous vêtus de sombre ne sont pas considérés comme individualités. La première partie du film est ainsi ancrée dans le collectif et le mouvement historique. Dans cette alternance de scènes de combats et de préparations (repérages, réunions clandestines, discours politiques), on est davantage marqués par celles d’actions où les comportements brutaux des soldats anglais traduisent toute la bêtise et la vanité humaines. Ce qui pose une fois encore l’éternelle question de la complaisance d’un cinéaste à les montrer et plus encore celle passive du spectateur à les raconter. Décidément sous toutes les latitudes et à toutes les époques, la soif de pouvoir et de domination a engendré les pires atrocités et révélé les aspects les plus malsains de la nature humaine.

En recentrant ensuite le scénario sur la divergence des deux frères, on espère que Le Vent se lève puisse acquérir plus de profondeur et dégager un souffle plus puissant, adéquat avec la force du sujet. Hélas, il n’en est rien et cet affrontement dont on éprouve quelque peine à en appréhender les motivations – le départ des anglais entraînant la guerre civile est traité de manière elliptique – cantonne le film dans une mise en scène sans inventions.

 

Dans ses films sociaux – la majorité de son œuvre -, Ken Loach nous a habitués à la proximité et à la décortication psychologique de ses personnages. Ici, il apparaît comme écrasé par son sujet, comme s’il s’imposait une propre censure pour éviter le sentimentalisme. L’intention est louable mais elle impose au film une certaine distanciation, qui forcément laisse le spectateur de côté.

Homme de convictions qui a connu des années de vache maigre, ostracisé par le pouvoir conservateur durant les années 80, Ken Loach montre en filigrane – et notamment dans une issue tragique – son pessimisme et son amertume. Dommage que cette vision lucide et désenchantée n’ait pas produit un film plus lyrique et plus habité. Le vent n’aura été au final qu’une brise…

 

Patrick Braganti

 

Drame britannique – 2 h 04 – Sortie le 23 Août 2006

Avec Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham

 

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