cinéma

Walk the Line de James Mangold

[3.5]

 

 

Biopic ou pas, là n’est pas la question. Personne, pas même le plus génial artificier de la caméra d’Hollywood ou d’ailleurs (ce que n’est évidemment pas James Mangold) ne pourra jamais contenter le cahier des charges forcément élevé de ce que l’on est en droit d’attendre d’un film pressé d’épouser la vérité d’une vie vécue. La profondeur d’un être humain, quel qu’il soit, n’est forcément pas réductible à un bloc d’images animées dressés à la suite pour faire sens et former le grand récit d’une vie. Comment rendre compte sinon des contradictions constantes et injustifiables dont chaque existence peu ou prou se fait l’écho ? Comment éviter surtout, dans ces cadres rigides, la représentation de toute création artistique autrement qu’aliénée au petit jeu des correspondances biographiques, facilité foutraque si méprisante pour le mystère véritable de tout art ? Au fond, James Mangold ressemble à l’un de ces producteurs de disques débattant en présence de Johnny Cash lui-même – mais sans jamais le consulter  – de l’opportunité de tel ou tel disque. Cash en objet d’utilité privative, et qu’importe de coller aux basques de ses désirs intérieurs.

 

Va donc pour une fiction pure et simple. Walk The Line serait ainsi l’histoire d’un type appelé Johnny Cash, une pastorale américaine intégrale avec traumatisme originel, élévation à la force de la voix, chute libre et rédemption par l’amour. Un long film classique sans autre ambition que raconter une histoire en forme de trajectoire. Sans projet révolutionnaire ni même subversif, simplement linéaire, tenant si fort sur le seul fil de son scénario mécanique qu’à force de fuir comme la peste toute dérive incontrôlée, il devient vite exaspérant. Pas de place ici pour la plus petite respiration hors cadre, qui aurait pourtant permis de concrétiser – pourquoi pas – l’hypothèse un tant soit peu tangible de voir s’élever du corps sobre (visiblement disposé à rendre service) de Joaquin Phoenix, l’esprit de Johnny Cash. Suppression des zones de flottement potentiel, découpage de chaque scène comme aboutissement de la précédente et moteur de la suivante, Walk The Line a des allures de grand puzzle historique parfait, dont la reconstitution, sans être ennuyeuse, ne réserve aucune surprise.

 

Au-delà de ces réserves préalables, se dégage pourtant une modestie d’ensemble, à l’écart de l’esbroufe "clippeuse" et de la virtuosité en toc devenue au cinéma la norme la plus efficiente pour masquer les discours vides. S’il faut reconnaître une qualité au film de James Mangold, c’est bien cette volonté constante de rester en retrait de son sujet – Johnny Cash, vérité ou fiction – et de rechercher, avec une discrétion rare, le seul seuil d’efficacité maximale. Un travail de bon faiseur de film, qui réserve la part belle aux comédiens, ses deux héros qu’incarnent Joaquin Phoenix et Reese Whiterspoon. Sa sobriété massive à lui contre la légèreté gouailleuse de la sudiste : leurs numéros sur scène ponctuent Walk The Line de beaux moments live, instants de concrétisation dans leur exercice d’excellence d’existences par ailleurs dispersées, performances scéniques qui les maintiennent d’abord en vie – ce point, sans doute, où la fiction rejoint parfois la réalité vraie du chanteur Johnny Cash.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain (2005) – 2 H 16 – Sortie le 15 février 2006

Avec Joaquin Phoenix, Reese Whiterspoon, Jennifer Goodwin  

 

> Réagir sur le forum cinéma