cinéma

Wild side de Sébastien Lifshitz  

 
 

    Un trio improbable constitué d’une transsexuelle, Pierre devenu Stéphanie (troublante et magnifique Stéphanie Michelini), d’un émigré russe Mikhail (Edouard Mikitine) et d’un jeune tapineur beur Djamel (Yasmine Belmadi) constitue le pivot central du nouveau film de Sébastien Lifshitz, que l’on avait déjà remarqué et aimé pour Les corps ouverts en 1997 et Presque rien en 2000.

 

    Le film ne nous donne quasiment pas de clefs au départ. Pourquoi ces trois-là sont-ils ensemble, soudés par quelle nécessité ou par quels liens ? Nous allons l’ apprendre par bribes et recoupements successifs. D’abord située dans les milieux glauques et interlopes du tapinage parisien au Bois de Boulogne et dans les gares, l’action se déplace subitement dans le Nord de la France où Stéphanie et Mikhail vont accompagner la mère de celle-ci (Josiane Stoléru à la présence presque muette et pourtant incandescente) en fin de vie. Ils y sont bientôt rejoints par Djamel.

Aller-retour permanent entre la vie souterraine et clandestine à Paris et la reconstitution du cocon primal et familial dans le Nord, le film multiplie les flash-back nous permettant de connaître l’histoire du trio.

Wild Side montre aussi un échantillonnage étendu des sexualités sans jamais être inutilement exhibitionniste, ce qui est déjà en soi une belle gageure. Quel qu’en soit le sexe ou l’âge, le corps est exposé sans outrance dans sa nudité la plus naturelle et filmé avec beaucoup de pudeur et de tact. Lifshitz revendique au passage le droit à une sexualité pour tout un chacun.

 

    Mais il serait dommage de réduire le film à ce simple aspect. Les trois personnages principaux ont une véritable épaisseur. On sent leurs fêlures, leurs peurs et leurs espoirs. Pour les trois, le rapport à la mère présente ou absente est déterminant. Bien sûr, celle de Stéphanie, qui à son contact redevient le petit garçon qu’il a été, est prépondérante. Impression renforcée par les images lumineuses de Pierre enfant jouant avec sa sœur Caroline et son père tous deux disparus. Néanmoins, lorsque Mikhail appelle en Russie et est incapable de formuler quelques mots à sa lointaine mère et lorsque Djamel rencontrant son jeune frère s’enquiert des réactions de la sienne, on perçoit que pour les deux garçons la relation maternelle n’est pas non plus dénuée de conflits.

L’utilisation de la langue dans sa multiplicité et les difficultés de compréhension qu’elle suscite est exemplaire. Ainsi, elle aboutit à cette scène franchement hilarante dans laquelle Djamel tente d’expliquer à Mikhail les raisons de la présence de cicatrices sur son avant-bras. De même, lorsque Mikhail arrive à Paris et rejoint quelques clandestins de son pays ou quand enfin il parvient à renouer le dialogue avec sa mère, les paroles ne sont jamais traduites. Pourtant, on a la sensation de tout saisir, de tout ressentir. L’expression peut alors passer par autre chose que le verbe ; Wild Side n’étant d’ailleurs pas particulièrement bavard.

 

    Parfois proche du cinéma de Bruno Dumont, entre autres par ces superbes plans fixes sur des corons, des terrils, des friches industrielles, des cités ouvrières ou des banlieues sordides, Sébastien Lifshitz livre un film rempli d’humanité et de tendresse. C’est bien ce regard solidaire et bienveillant qui évite à Wild Side le scabreux ou le malsain qu’il aurait pu présenter.

Ces trois êtres marginaux et atypiques ont trouvé la plus belle des solutions pour survivre : s’aimer. Dans nos espaces modernes de solitude et d’individualité, Wild Side se veut un film d’amour et de réconciliations. Donc de paix et de sérénité. C’ est pourquoi il nous touche et nous émeut durablement.

 

Patrick

  

France-Belgique – 1 h 33 – Sortie le 14 Avril 2004